Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/508

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
504
REVUE DES DEUX MONDES.

non ils périraient, les uns par les autres, et par l’ennemi :

— C’est sire Guillaume qui nous a donné le bon conseil de rassembler ici nos ressources, et c’est lui seul qui peut nous ménager l’appui des chrétiens de Tripoli, en même temps que nous appelons les musulmans de Damas. Je vous propose que nous constituions sous sa présidence un conseil de la défense.

Et puis, leur dit-elle en substance, de la voix la plus pure, avec un regard de vierge, j’attends de vous un grand service de bonté :

— Que peuvent devenir les femmes du sérail ? C’est à vous de les protéger. Elles vous appellent. Je vous demande que vous vous les partagiez. Les sommes assez importantes, qui, chaque mois, étaient dépensées pour leur entretien dans le harem, légitimement doivent les suivre dans vos mains.

Ils acclamèrent la Sarrasine, la confirmèrent dans son titre de reine et firent leur affaire de persuader les officiers subalternes et les troupes.

Ainsi la transmission des pouvoirs s’opéra sans difficulté.

À la nuit, la savante vint prendre Guillaume par la main et la mena en secret dans la chambre dorée d’Oriante. Tandis qu’ils se glissaient à travers l’ombre des longs corridors, la jeune femme, en guise d’adieu à leurs plaisirs qu’elle sacrifiait à l’amour, lui récita les vers du poète :

« La tulipe fleurit promptement et s’en va légère et rapide, mais le rubis qui se forme avec lenteur ne craint rien du vent ni de la pluie et traverse toutes les saisons. »

Le jeune homme pleura d’enivrement en s’agenouillant devant la Sarrasine, qui lui disait :

— Comme je t’ai attendu, avant même que je te connusse ! Que de fois, avec quelle ardeur, je me suis répété : Quand viendra-t-il dans ma chambre, celui dont mon espérance m’assure qu’avec lui et jusqu’à la mort je serai reine et heureuse ? Au milieu du chaos de dangers qui nous pressent, hâte-toi, ami de mon cœur ! Tout ici t’appartient.

Son visage brillant et pur, ses mains délicates teintées de henné, ses petits pieds fardés, tout son corps d’ambre et de jasmin répandaient la douce lueur d’une lampe de mosquée. Jusqu’à l’aube dans la citadelle, on entendit les hullulements des femmes auprès du cadavre royal, et, tout autour de la ville, les tambours des chrétiens qui se réjouissaient. Eux, cependant, ils