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[1], échauffant les murs moisis d’enthousiasme et d’espoir. Hélas ! pour me détromper, il suffit d’appeler mon imagination qui ne répond plus ! Les idées, les images, les poésies qui illuminaient ma vie austère sont mortes comme mes espérances d’autrefois. Le vase a été tellement cahoté de par la vie, il s’est heurté à des fortunes si diverses que, par mille fêlures, toute la forte liqueur a fui : il reste vide et encore un peu sonore.

Ah ! que vous aviez raison, mon ami, le jour où vous me disiez que je n’avais fait que descendre depuis mes dix-huit ans ! je me fais l’effet d’un revenant qui ne serait plus un esprit, comme dirait votre père.

Depuis quelque temps, mon oncle [2] m’occupe par d’assez lourdes besognes ; ce sont surtout des études sur les dissensions religieuses si subtiles et si complexes de ces Orientaux qui sont les dignes fils des Byzantins, et qui ont gardé d’eux la tradition et l’amour des hérésies disputeuses. Tout cela se mêle par bien des points à notre politique et présente un certain intérêt. Plaignez-moi, mon ami, vous voyez que je deviens un homme sérieux.


A Henri de Pontmartin


Constantinople, 31 mars 1873.

Mon cher ami,

Le voilà donc ce livre : il est sorti, comme disent les Italiens dans leur langue expressive, et c’est vous qui l’avez voulu. Le jour où libre enfin de partir pour mes courses lointaines, je vous ai demandé de venir les partager avec moi, vous m’avez répondu qu’un devoir impérieux vous retenait en France, mais vous m’avez fait promettre de vous rapporter un récit fidèle de mes caravanes et je ne vous faire tort ni d’une impression ni d’un étonnement. J’ai vaillamment accompli ma promesse, je vous assure, j’ai dû me la rappeler bien des fois durant les soirées de la tente, après une longue journée de cheval, pour lutter contre le sommeil et prendre la plume. Il en

  1. Tragédie inédite.
  2. Le comte de Vogué, ambassadeur à Constantinople. — Charles-Jean Melchior, comte, puis marquis de Vogué, archéologue et historien, né à Paris le 18 octobre 1829, décédé à Paris le 10 novembre 1916, membre de l’Académie française et de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,