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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/554

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une impropriété aussi grande que d’aller à Beaucaire en janvier. Mais les circonstances l’ont voulu ainsi : mon but principal était l’exposition de Moscou, très considérable, très intéressante ! je l’ai visitée durant huit jours, ce qui provoquera un article sur l’art russe dans la Revue [1] . Je suis arrivé à Moscou pour les funérailles de mon pauvre ami Skobéleff, un Bonaparte que son étoile a lâché devant la mort contre toute attente. C’était le cas ou jamais pour les Archimandrites de paraphraser le fameux « grain de sable. » Mais, hélas ! il y avait cette fois bien pire qu’un grain de sable ! Vous ne pouvez pas vous faire une idée de la douleur enthousiaste, si on peut dire, de tout le peuple russe, des manifestations que j’ai vues, bien spontanées celles-là, et sans apprêt de blouses blanches. Toute cette nation avait dit à cet homme : « Tu Marcellus eris. » Comme on ne peut pas être partout à la fois, j’ai manqué le train qui a été enterré vivant, comme vous l’auront appris les feuilles friandes de faits-divers. J’avais pourtant voyagé toute la semaine sur la ligne qui s’est dérobée en engloutissant un express. J’ai fait quelques visites dans divers recoins de la Russie, assaisonnées par des aventures dignes d’ajouter un chapitre aux Ames Mortes de Gogol, mais trop longues à raconter. Demain je m’embarque sur l’admirable fleuve qui produit le sterlet [2] : je veux visiter Kazan, la cité russo-tartare, je descendrai le Nil russe jusqu’à Saratoff, d’où je regagnerai mon ermitage Kharkovien. Si vous avez des cartes aux Angles, comptez les verstes que suppose cette randonnée. J’étais il y a quinze jours en Tchernigoff et cette semaine je pousserai peut-être jusqu’à Orenbourg porte d’Asie.

Maintenant, j’ai la prétention de dormir, malgré une chaleur tropicale et les punaises auxquelles il faudra livrer bataille dans l’auberge indescriptible où je gite.

Que dites-vous de ce crocodile d’Arabi ? Le vieux lion britannique s’est réveillé pour le mettre à la raison... Vous devinez si je me félicite de n’être plus engagé en rien dans l’intolérable bourbier où s’agite ce que des gazettes cruelles appellent : « la diplomatie française. » Ils ne veulent plus que des bonnets de coton ; soit, mais encore fallait-il garder le marché où l’on se procure ce textile.

  1. Voyez la Revue du 1er novembre 1882.
  2. Le Volga.