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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/575

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qu’il est très difficile de les apercevoir dans l’immense dispersion d’idées d’une démocratie. Je crois que la comparaison peut être poussée à bout sans désavantage pour Tolstoï et qu’il a pénétré les esprits de notre génération aussi profondément que Walter Scott ceux de la vôtre. Mais il faut attendre quelques années encore pour faire la preuve.

Je suis effrayé de ma loquacité, c’est une post-face après la préface, et cela ne voulait être qu’un remerciement ; il part comme toujours d’un cœur qui vous est bien attaché, celui de

Votre respectueux et fidèle ami.


A Henri de Pontmartin.


Bobrowo, Lébédine, 30 août 1886.

Mon cher ami.

Il faut pourtant que vous voyiez le timbre à l’aigle double. La saison que nous traversons n’encourage guère à écrire des lettres ; elle nous prémunit contre les dangers de cet exercice et nous apprend que nos grands hommes n’ont pas de pire ennemie que leur écritoire. La maladie épistolaire est aussi funeste à M. Caubet qu’au général Boulanger, à M. Ferry qu’à M. le Comte de Paris. Pereunt propter nimiam litteraturam. Mais comme on ne me pendra jamais pour les lettres adressées aux Angles, je veux vous dire bonjour du fond de mon ermitage. J’y vis comme un Chartreux, cum libris et liberis ; ma femme est à Marienbad en train de prendre les eaux bohèmes. Je ne vois personne, je ne sais rien, les journaux de France m’arrivent vieux de huit jours et je n’ai plus la clé pour les lire.

Pour le quart d’heure, je pratique des fouilles dans la vénérable bibliothèque de Bobrowo. En fait de romans nouveaux, je lis la Nouvelle Héloïse qui me paraît un chef-d’œuvre fort supérieur à Sapho et à bien d’autres ; je lis les Malheurs de l’Amour par Mme de Tencin, et Zayde faussement attribuée à M. de Segrais, cet ouvrage étant de Mme de La Fayette. Comme il ne faut jamais disputer des goûts littéraires ! Je suppose que }e m’asseois dans un wagon à côté d’un lettré du haut commerce : il tire de son sac le Maître de Forges ou la Grande Marnière, moi ma Zayde ; certainement, cet homme prend du plaisir à son livre et mourrait d’ennui sur le mien ; moi, je me divertis à la lecture de ce dernier et j’aimerais mieux sauter par la portière que de lire le volume