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II

Lorsque William Wordsworth arriva à Orléans, dans les premiers jours de décembre 1791, il avait vingt et un ans et demi. Bachelier ès arts de Cambridge depuis janvier, il ajournait, malgré les objurgations de ses oncles et tuteurs, le choix d’une carrière. Il était cependant sans fortune. En ce même moment, sa sœur Dorothée estimait qu’elle et chacun de ses frères possédaient par tête 470 livres sterling sur lesquelles il y avait à déduire pour William les frais d’éducation. Il n’avait donc que le strict nécessaire pour séjourner quelques mois en France dans des conditions très modestes. Il est vrai que tous ces orphelins ont une espérance : recouvrer la créance considérable que leur père le régisseur a laissée en mourant sur son seigneur le comte de Landsdale. Dangereux espoir qui entretient chez le jeune poète le penchant à l’attente flâneuse, qui l’encourage à se dérober aux tâches précises pour suivre ses goûts vagabonds. Il couvre en ce moment sa temporisation d’un prétexte : il veut savoir le français à fond pour se rendre apte à servir de précepteur à quelque jeune compatriote riche et à le guider dans ses voyages sur le continent. Au fond de sa pensée, il y a le désir de gagner du temps, d’échapper à la chaîne et d’écrire des vers. Qui sait si les poèmes que déjà il prépare ne le rendront pas célèbre sur le champ, lui épargnant la servitude d’une profession ? Il est en train de retoucher une description de ce beau pays des lacs où il est né ; il en médite une autre de ce merveilleux voyage à travers les Alpes qu’il fit, il y a un an, pendant ses vacances, avec un camarade de Cambridge, à pied, sac sur le dos.

Dans ces vers, c’est la Nature qu’il célèbre. Sa passion maîtresse s’est déjà révélée à lui. Mais elle est loin encore de le prendre tout entier. Il est curieux de tout ; il a grand appétit de vie. Son humeur n’est pas encore pour la solitude des montagnes. A peine sorti de son Université, il s’est installé à Londres où il vient de passer de longs mois de flânerie, attiré par toute la variété des plaisirs qu’offre la grande ville. Si même maintenant il s’est tourné vers la France, c’est que la Révolution exerce sur lui un premier attrait. Il se rappelle cette arrivée du 13 juillet 1790 à Calais, la veille de la Fédération et l’enivrement