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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/642

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tendre amour de Vaudracour pour sa Julia connue dès le berceau, chérie dès l’enfance, la constante compagne de ses jeux durant toute sa jeunesse. Ecoutons le poète :


Les Mille et une Nuits n’ont pas peuplé le monde
De moitié des splendeurs dont il s’émerveillait :
Qu’elle vint, et c’était le printemps sur la terre ;
Les plus humbles objets autour d’elle et sur elle
Prenaient un plus haut prix que tout l’or d’Orient,
Sa demeure était comme une châsse sacrée ;
Sa fenêtre passait en merveilleuse gloire
Le portail de l’aurore, et tout le paradis
Pouvait par une simple ouverture de porte
Resplendir devant lui...


Il se sentait « surchargé de bonheur au point d’en défaillir. » Il était « trop heureux pour ce monde mortel. »

Ce furent là les premiers jours de fascination, alors que les amoureux étaient encore innocents.

A côté de cette explosion exceptionnelle chez lui, quel embarras pour dire la consommation de leur amour ! quelles gauches excuses qui viennent glacer les transports à peine exprimés !


Ainsi passait le temps, mais est-ce par l’effet — d’un moment d’imprudence qui vint dissoudre — la retenue vertueuse... Ah ! ne dites pas, ne pensez pas cela ! — Croyez plutôt que le jeune homme fervent, qui voyait — tant d’obstacles entre son état présent — et le cher havre où il souhaitait d’être — en les liens honorables du mariage uni à sa bien-aimée, — était intérieurement préparé à s’écarter — de la loi et de la coutume, et à confier sa cause — à la nature pour une heureuse consommation ; — croyez que le jeune homme se laissa bercer de cet espoir — et soyez indulgents à leur faute, quand j’ajoute — que Julia, sans avoir encore le nom d’épouse, — porta en elle pour une secrète douleur — la promesse d’être mère...


Pauvres vers et fâcheuse morale ! Plutôt que d’admettre l’impétuosité irréfléchie d’une minute de passion, l’exaltation soudaine du cœur et des sens, le poète aime mieux prêter à Vaudracour une action calculée au milieu même de ses transports. Malgré cette explication contrainte, que l’auteur lui-même suggère sans y beaucoup croire, tenons pour probable que Wordsworth et Annette succombèrent simplement, sans dessein préconçu, comme des milliers d’autres, parce que la nature l’emporta sur