être sollicitée par aucune curiosité d’esprit. C’est une amante qui se désole, une mère qui raffole. Mais de ce William qu’elle aspire d’une telle ardeur à revoir, elle parait tout ignorer et pourtant ne rien chercher à savoir. Elle ne s’enquiert pas de ce qu’il fait ; sait-elle même qu’il est poète ? De la guerre, de la politique, de la Terreur qui commence, elle n’a pas un mot à dire, sauf pour ce qui touche au voyage de son ami. L’absorption sentimentale est absolue. Le pathétique est sans détente.
On peut imaginer l’ébranlement de Wordsworth en recevant ces lettres émouvantes qui furent d’abord fréquentes. Lui en parvint-il beaucoup d’autres après le 20 mars 1793 ? Les suivantes furent-elles également interceptées ? Nous n’aurons trace d’une nouvelle lettre d’Annette que vers la fin de 1795. Mais une chose est certaine, c’est que Dorothée accomplit sa difficile mission. Elle parla à son oncle Cookson. Le résultat ne fut pas favorable. Elle se plaint le 16 juin, dans une lettre à son amie Jane Pollard, « des préventions de ses deux oncles contre son cher William. » Elle a dû entendre tout un réquisitoire contre lui et en être un peu ébranlée, car elle avoue « qu’il mérite quelque blâme. » Elle a peur qu’il n’approuve les Terroristes : « Est-ce qu’il soutient ces atroces Français ? Il n’existe pourtant pas de meilleur Anglais que lui. Peut-il être vrai qu’il soit hérétique ? » Mais son affection la rassure vite. Elle voit dans la nature étrange et capricieuse de son frère, dans ses égarements mêmes, la preuve de son génie.
Rebuté par ses tuteurs, appelé par Annette, que fit Wordsworth ? La guerre, qui existait officiellement depuis le 1er février, était peu à peu devenue une réalité. Les amoureux qui s’étaient promis une prompte réunion se trouvaient séparés par un obstacle presque insurmontable. William ne pouvait risquer un nouveau séjour en France qu’au prix des plus grandes difficultés et des plus grands dangers ? Courut-il ce risque redoutable ? C’est une question pendante. Carlyle rapporte que Wordsworth lui aurait dit en 1840 avoir assisté à l’exécution de Gorsas, premier des Girondins menés à l’échafaud, laquelle eut lieu le 7 octobre 1793. On n’a aucune trace de ce séjour. Le poète lui-même n’y fait aucune allusion. M. Harper pense que, comme nous n’avons rien à cette date qui fixe les faits et gestes du poète, on peut à la rigueur admettre qu’il ait pour revoir Annette tenté la périlleuse aventure. On le voudrait du moins :