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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/738

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REVUE DES DEUX MONDES.

échappé à la tempête ; il la rejoindrait ; les narines au-dessus de l’eau, la poitrine plus puissante que tout l’océan, les bras hardis à fendre les flots, il atteindrait le rivage et la saisirait, heureuse et plus fraîche, dans sa joie de le retrouver, que tout l’océan surmonté. Qu’était-il advenu d’elle ? Rien qui pût faire qu’elle ne fût fidèle. Qu’importe au véritable amour l’écume injuste de la vie ! Il ne se permettait pas d’accueillir rien de ce qui rôdait autour de son esprit. C’est une abeille, se disait-il, qui reste prise à mi-corps dans son gâteau de miel et qui attend de moi sa délivrance.

Enfin un jour, environ six mois après qu’il était arrivé à Damas, le Sultan le fit chercher et lui dit :

— Voici que j’ai reçu des nouvelles de Qalaat. Cette fille conseille très bien son chrétien, et maintenant ils appellent des ouvriers musulmans pour aider à la réparation de leur territoire. Je prévois que d’eux-mêmes ils vont songer à une entente, et c’est alors que j’aurai besoin de toi pour leur porter mes réponses. D’ici-là, tiens-toi tranquille. Je pense que ces mois de fraîcheur ont apaisé ta fougue. Reprends ta bonne vie dans ta maison du Barada, car je veux que les messagers qu’ils m’enverront reconnaissent que je traite bien leur coreligionnaire.

Les malheurs avaient rendu Guillaume diplomate. Écumant à l’intérieur, il cacha sous un profond salut l’impatience qu’avait surexcitée ce discours, et se retira après avoir de nouveau mis tout son dévouement au service de Sa Hautesse.

Tout en se réinstallant dans sa première demeure avec un air d’insouciance affectée, il décidait de ne plus différer davantage. « La vie est trop courte, se disait-il. Je ne puis plus accepter que le feu de mon cœur et ma force demeurent inutiles. Oriante regarde chaque jour la route de Damas et me reproche de n’être pas encore arrivé. »

Cinq jours plus tard, à la nuit, il s’enfuyait de Damas sans être accompagné de personne, et il poussa son cheval avec tant de hâte que, le soir même, à l’étape, au milieu des gorges affreuses qui ferment l’oasis à l’Ouest il rejoignait une caravane qui ne refusa pas de l’accueillir.

Hardiment, d’un cœur confiant, le voici en route pour Qalaat et pour la délivrance d’Oriante ! Chaque matin, la caravane se met en marche, à l’heure où les ombres et la lumière se combattent, avant que toutes les étoiles aient cédé au soleil,