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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/740

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REVUE DES DEUX MONDES.

kiosques. Il revoit tous ces lieux qui lui donnèrent une image du ciel. Le mystérieux bonheur enveloppé de voiles n’est plus là pour distribuer ses lumières sur les choses. C’est un précieux baguier d’où le joyau a disparu. Il va tout droit vers la partie du jardin qu’Oriante avait remplie de ses chants, qui fut leur domaine propre et qui lui apparaît comme leur amour étalé. Il crut la revoir étendue sous ces arbres avec une grâce si touchante, quand elle occupait un étroit espace d’ombre au bas d’une pelouse inondée de soleil, et qu’atteint par cette joyeuse lumière, un pan de sa robe de soie incarnadine brillait sur le vert du pré. Affaissée dans une langueur qui ressemblait à l’innocence et au plaisir, ses longs cils et ses douces paupières fermés, un de ses bras passé sous son cou et sa main chargée de bagues retombant sur sa joue et dans ses cheveux, tout ce paradis ne servait qu’à la faire valoir et semblait un rivage autour d’un lac de divine volupté. Et maintenant…

Ce furent des minutes bien tristes que celles où sire Guillaume, circulant ainsi au milieu des jardins dévastés de Qalaat, se débattit avec ses enivrements du passé et ses inquiétudes du jour.

Qalaat est un petit endroit. Le jeune homme eut le temps de parcourir tous les lieux où il s’était trouvé avec l’amie du plus beau moment de son existence ; il reprit un à un tous ses émerveillements, ses désirs, ses plaisirs et son angoisse ; il suivit le sentier par où Oriante venait de son pavillon avec la gentille Isabelle ; il s’en alla sous la forteresse jusqu’aux rochers où se tenait le chef chrétien qu’elle avait regardé si étrangement, et avant que les deux heures fussent passées, Guillaume se retrouva au milieu des badauds devant le palais où sans doute Oriante, le festin terminé, s’occupait à se parer.

Il ressentait jusqu’à l’irritation une sèche et douloureuse impatience, dans l’attente de celle dont le sourire seul rendrait une àme à cette ville morte. Si elle me voit de l’une de ces fenêtres, songeait-il, ses deux bras se tendront vers moi, et dès le soir son ingéniosité romanesque aura trouvé quelque moyen pour favoriser mon escalade dans sa chambre. Mais il souffrait sans se l’avouer du bel ordre qui régnait dans Qalaat et qui impliquait le consentement et la soumission de tous.

Enfin les cloches qui redoublent annoncent que voici le cortège. Les musiciens débouchent de la forteresse, puis les prê-