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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/759

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UN JARDIN SUR L’ORONTE.

connaissait profondément la langue et les mœurs des païens, et décida de le servir.

Et déjà sire Guillaume est plus heureux. Depuis des jours et des nuits, il se traîne dans des sapes obscures où le sable perpétuellement détaché des parois le submerge : quand il aperçoit un rais de lumière, comment n’y marcherait-il pas instinctivement, animalement, dût-il dans ce plein air trouver un pire péril ! Si c’est le dénouement par la mort, eh bien ! vive la mort et son repos béni.

XV

Que connut exactement l’évêque des aventures de sire Guillaume et de la belle Oriante, on l’ignore, mais c’est un fait qu’il entreprit de mettre sa haute puissance au service de ces deux amants. Avec tout ce qui s’élance vers le ciel et fournit de la jeunesse, du feu, de la force, le vénérable prélat veut construire la chrétienté de Syrie. Quel abîme entre le chaos présent, que règle seule la chance des batailles, et le royaume qu’il rêve de réconcilier h la gloire du Christ ! Il aime ces dames sarrasines qui viennent de se convertir et qui peuvent enfanter une nation nouvelle, il aime ce soldat retrouvé, si plein d’expérience, et il a bon courage, avec ces matériaux précieux, de jeter le pont sur l’obstacle.

Un jour, au sortir de la messe, sur le parvis de l’ancienne mosquée, devenue l’église, il s’approcha du comte d’Antioche, en tenant sire Guillaume par la main, et lui dit :

— Seigneur, j’ai par bonne aventure entendu en confession ce chevalier que voici et qu’à son humble vêtement j’ai d’abord pris pour un musulman. Il m’a dit une merveilleuse histoire que, s’il vous plaît d’ouïr, je vous répéterai. C’est un chevalier charmé. Il a reçu un enchantement, qu’il ne s’explique pas lui-même, dans vos jardins de l’Oronte, un jour de jadis qu’il était venu à Qalaat en mission de son suzerain le comte de Tripoli, et depuis lors il dépérit, s’il s’en éloigne. À son grand dam, quand vous assiégiez la ville, il l’a quittée, pour ne pas verser de sang chrétien ; il a erré, comme un égaré, à l’aventure, et maintenant, il revient dans ces lieux de sa fascination, en demandant au vrai Dieu de venir à son aide. C’est un mal de l’âme, dont il faut que nous l’aidions à se guérir, et l’un et