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d’Ukraine, il y a deux semaines. Aussi bien, notre été polaire est fini, je me contente ce soir de 5 degrés au-dessus de zéro, tandis que vous rôtissez encore aux Angles. Cette ville est morte à cette époque et pour deux à trois mois encore ; c’est le seul moment où l’on puisse travailler à loisir sans corvées ni gênes. Aussi est-ce habituellement en automne que je fraye pour la Revue. Vous allez voir la petite fête du 31 août, mais je crois bien que tout ce que l’on pouvait accorder d’attention et d’irritation à cet intermède tragique a été dépensé le 29 juin. On ne rejoue guère deux fois ces pièces politiques avec succès en France ; la seconde cueillette de Jésuites se fera en un tour de main. Et puis les élections des conseils généraux vous ont dit votre fait ; si vous n’êtes pas assez pulvérisés, je ne sais pas ce qu’il vous faut. Allez, vous n’avez plus qu’à vous incliner devant Auguste Grévy comme votre confrère de Lisieux. J’attends avec curiosité le Temps de demain pour voir dans quelle eau de Jouvence mon ami Renan s’est encore plongé. Il n’y a pas à dire : dans les maigres années littéraires que nous traversons, quelques lignes de lui sont un gros événement. Adieu, mon ami, je vais rentrer dans ma fourrure, dans ma nuit.

Cordialement à vous.


Au même


Ambassade de France.


Saint-Pétersbourg, 24 novembre 1880.

Mon cher ami.

J’aurais pu attendre le 2 décembre pour être classique dans mes écritures ; mais, hélas ! nous l’attendrons longtemps encore le 2 décembre, qui serait aujourd’hui si bien accueilli...

Ici, nous végétons dans la gelée, la crotte, la nuit et le calme plat de la vie. Je suis accablé de travail et n’ai pas même de loisirs pour la Revue, pas assez de liberté surtout pour traiter les sujets actuels qui solliciteraient maintenant mon esprit. Je viens pourtant de suivre un grand procès nihiliste avec pendaison à l’épilogue, qui donnerait matière à une étude profondément humaine du document humain, comme dit l’autre.

J’ai savouré comme vous le bijou de Renan et senti ce que vous définissez si bien le regret de la soutane perdue. On ne fera jamais mieux que la première partie de cette étude, comme analyse