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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/792

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m’arrêter, engrené que je suis dans une caravane qui va s’embarquer tout à l’heure ; mais au retour, vers le 2 décembre, avant de remonter, j’espère vous serrer la main. Je devrai alors m’arrêter à Arles, je vous ferai signe, et je serai heureux, croyez-le, de resceller la vieille amitié.


Metz, 23 mars 1900

Mon cher ami,

Une lettre de ma femme m’apprend la mort de M. de Lestrange, trop tard pour que j’aie pu me rendre aux obsèques où un télégramme m’appelait... Voilà donc le vieux seigneur parti, après Alphonse du Peloux ; mon père, je le vois à des signes trop certains, ne tardera pas à suivre ses contemporains. C’est l’arrière-plan de nos vies qui se vide et s’enténèbre. Votre pensée se sera arrêtée avec mélancolie, comme la mienne, sur la tombe du vieux marquis : elles se sont retrouvées là dans un sentiment commun. Il s’inscrit pour moi, à cette heure, dans un deuil plus vaste et plus farouche, celui de la pauvre ville lugubre où chaque pierre sue la tristesse. J’étais allé visiter mon jeune bursch Raymond à Heidelberg, où le futur chartiste suit quelques cours de l’Université et se trempe dans la science allemande. Nous avons fait ensemble une petite tournée aux vieilles villes impériales, Worms et Spire, puis un pèlerinage aux villes captives, Strasbourg et Metz. Strasbourg, riche, vivante, est moins morne que sa sœur lorraine ! Metz est navrante, morte sous les pieds d’innombrables soldats, violée d’hier, semble-t-il. Elle n’a point participé au colossal développement industriel qui éclate aux yeux dans toute la vallée du Rhin ; l’Allemand, si accueillant et si empressé pour le Français partout ailleurs, garde ici sa physionomie de conquérant dur et défiant. Nous allons visiter, chez mes amis Wendel, les grandes usines d’Hayange ; je rentrerai dans quarante-huit heures à Paris.

A revoir, mon cher ami. J’ai voulu vous serrer la main à l’ombre du vieil arbre que nous n’apercevrons plus au fond de la perspective où nous avions coutume de reporter nos regards.

Je le fais bien affectueusement.


1er décembre 1901.

Mon cher ami,

Demain le cinquantenaire de cette date où nous avions