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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/837

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dans la source, en cueillant l’onde dans leurs paumes, et la versant pieusement dans leur cou, dans leurs manches.

Un homme survint, qui cria quelque chose en breton : il invitait les pèlerins à venir passer la nuit chez lui, en une grange voisine (il les appelait Kristenien, — Chrétiens, — comme un musulman parlant à une foule musulmane dit Moslemin). Alors quelques-uns se mirent à traverser le ravin pour le suivre. D’autres remontaient vers la chapelle, dont les vitraux, vaguement, s’éclairaient de lumières intérieures.

La nuit était venue, et nous montions dans notre carriole, quand un chant multiple, lointain, assourdi, nous arrêta, dont je reconnus le rythme : Santez Anna, — le cantique de Sainte Anne, que tout le monde sait en Gornouaille. Il venait du sanctuaire, où la plupart des pèlerins allaient dormir ; ces Bretons l’entonnaient avant de s’étendre sur les bottes de paille, au pied de leur vieille Sainte.

Alors, il n’y eut plus que les vides de la campagne et de la mer, autour de la chapelle. Mais ce soir-là, elle n’était pas morte dans sa solitude. De plus en plus, ses verrières luisaient, en même temps que s’épanchait d’elle cette vague musique nombreuse. C’était comme dans les histoires que l’on dit encore tout bas dans les fermes : on pouvait imaginer quelque légion d’âmes revenue là pour quelque office mystérieux. Magiquement, dans la nuit croissante, le vieux sanctuaire se remettait à vivre...


II. — VERS LE RAZ

Au bas de la rivière d’Audierne, où il avait « descendu » son bateau pour profiter du premier flot, le père Salaün disait à ce mince kloarek qui, vers sept heures du matin, montait à bord du Famil Santel : « Alors, en permission ? Vous avez pas peur du temps !... Ils vont être contents, à l’Ile, devons revoir. » Une vieille femme suivait le jeune prêtre, de mine ascétique et froide, en son noir habit d’ilienne, non moins vouée que lui, semblait-il, à la religion. Le patron lui serra la main. « Bonjour, Marie-Jeanne ! Cette fois-ci, faut espérer qu’on va partir ! On vous a fait attendre... » Et se tournant vers moi : « Celle-là connaît le Raz. Plus de vingt fois que je l’ai passée ! »

Le père Salaün faisait depuis quarante ans les voyages de Sein. Il me l’a dit un jour : « On m’a offert d’autres postes, et