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Mais son attitude pendant et depuis la guerre a été telle qu’il n’est pas un Français, qu’il n’est pas dans le monde un homme véritablement libre qui ne lui doive le respect et l’admiration. Quand les plus notoires intellectuels allemands, au début de la guerre, signèrent le trop fameux « manifeste des 93, « Einstein refusa de s’associer à cette manifestation qu’il réprouva énergiquement. Bien plus, lorsqu’en 1914, le physiologiste Nicolai résolut de lancer un « Appel aux Européens, » qui élevait sa protestation courageuse contre le manifeste des 93, deux hommes seulement osèrent avec Nicolai signer cette condamnation du militarisme prussien : l’un était Einstein, l’autre Fœrster. C’était plus que de l’audace, c’était de l’héroïsme, car c’était risquer sa vie et déclencher toutes les avanies sans nombre, les brutalités, les menaces odieuses, les persécutions de toute sorte venues du camp pangermaniste et, qui, depuis lors et presque sans arrêt, s’efforcèrent, mais en vain, de vaincre la noble sérénité de l’illustre physicien.

A ce point de vue, Einstein mérite et n’a pas cessé de mériter la sympathie et la déférence de tous les Français. Mais il y a plus et je puis, — maintenant qu’Einstein est parti, et que je ne risque plus, par ces détails, de froisser des scrupules infiniment délicats, — lever ici le voile sur un point qui a été vivement controversé et qui concerne sa nationalité.

Einstein est né en 1879 à Ulm (Wurtemberg), d’une famille de juifs allemands. Il fit jusqu’à seize ans ses études au gymnase de Munich, puis alla s’établir avec ses parents à Milan, puis en Suisse où il continua ses études. De 1896 à 1900, il étudia au Polytechnicum de Zurich où il fut d’ailleurs un élève assez médiocre. Peu après, il obtenait la naturalisation suisse et trouvait en 1902, au bureau des brevets à Berne, un emploi qu’il occupa jusqu’en 1909. C’est en 1905 (il avait alors vingt-six ans !) qu’il jeta, dans un mémoire de quelques pages, les fondements de la théorie de la relativité restreinte, pierre de base de la théorie de la relativité générale qu’il devait achever en 1915, en pleine guerre. De 1909 à 1911, Einstein enseigna aux Universités de Zurich puis de Prague, d’où il revint pour professer, en 1912, dans ce Polytechnicum de Zurich qui l’avait vu, peu d’années auparavant, élève peu doué pour les sciences. C’est là qu’au début de 1914, l’Académie des Sciences de Berlin, éblouie par l’éclat de ses travaux, vint le chercher pour succéder au Hollandais Van’t Hoff, et le mettre à la tête des laboratoires de recherche physique, où il put continuer librement ses travaux. C’est là que la guerre le trouva ; c’est là qu’après avoir, à l’égard de ceux qui l’avaient déclenchée, pris