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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/942

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s’est montré digne de son passé illustre. Toujours, depuis que François Ier créa cette auguste maison, la pure flamme de la liberté et du savoir désintéressé s’est abritée à l’ombre de ses murs vénérables ; toujours elle a été le refuge de l’idéal, traqué par les Béotiens, de la justice et de la beauté éclaboussées par la sottise, toujours elle a été le tabernacle inviolé de ce qu’il y a de plus haut dans l’esprit français.

L’invitation d’Einstein a été faite, nous l’avons dit, avec l’agrément du Gouvernement, sinon avec sa participation officielle. Sous l’ancien régime, celui-ci, plus facilement dégagé de quelques piètres contingences, — je veux dire de la crainte de quelques perpétuels critiqueurs sans importance, — eût sans doute substitué à la passivité d’un acquiescement non sans mérite aujourd’hui, l’initiative d’un accueil triomphal. Un François Ier, un Louis XIV dont les plus glorieuses annexions, les plus belles conquêtes étaient celles des talents, un Louis XIV qui appela aux premiers emplois de la science française, parce qu’ils avaient du génie, le Danois Roemer qui découvrit et mesura à l’Observatoire de Paris la vitesse de la lumière, l’Italien Cassini, le grand et profond Hollandais Huyghens (ce qui n’empêchait pas le Roi de faire vigoureusement la guerre à la Hollande), un Louis XIV aurait appelé certes auprès de lui Einstein, victime abhorrée des pangermanistes, savant génial et courageux, contre qui s’est fondée outre-Rhin une Association pour la défense de la « Physique allemande » (sic) ! ! !

Aujourd’hui, Einstein est venu sans apparat. Sachons nous en contenter.

Sur le quai humide et boueux de la gare de Jeumont où nous attendions, M. Langevin et moi, l’arrivée du train portant le puissant reconstructeur de la science moderne, nous causions de ces choses avec émotion. Un professeur du Collège de France, si éminent que soit son mérite, et un astronome de l’Observatoire, c’était un bien modeste cortège pour recevoir à l’entrée de la France celui dont les découvertes lumineuses passionnent tous les hommes de pensée sur la terre : c’était peu lorsqu’on songe aux fanfares et aux honneurs dont on est accoutumé d’accueillir tant de médiocrités, tant de fausses gloires gonflées de vent. Mais ainsi l’avait voulu Einstein lui-même dans sa grande simplicité.

Il est vrai que si l’accueil fut modeste à la frontière de France, immense était l’enthousiaste curiosité avec laquelle tout ce qui pense dans ce pays tourne les regards vers Einstein. Et il y a un contraste