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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/953

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s’attendrit. Écoutez-le, ce criminel, mais, au fond de lui-même, ce pénitent, parler de ses enfants, ou leur parler, avec un amour que semble aviver le sentiment de sa faute secrète. Quelle gravité ! Quelle mélancolie ! Sur chaque mot, sur chaque note, quel accablement ! Quel poids, et de quels souvenirs ! Et puis, et surtout, à la fin du drame, dans les adieux du tzar qui va mourir à son fils qui va régner, tous les sentiments qui depuis des années l’ont torturé, viennent se fondre ensemble et ne forment plus qu’un flot d’immense tristesse, mais d’une tristesse calmée, purifiée même par la vertu, la grâce du suprême repentir. Si coupable qu’il ait été, Boris l’ambitieux, l’usurpateur, l’assassin, demeure intéressant, j’allais écrire sympathique. Il est cela dès le début, quand il paraît pour la première fois, déjà las de corps et d’âme, l’air soucieux et l’œil sombre, sous le diadème aussi pesant à son front que la dalmatique chargée de pierreries à ses épaules. C’est encore ici l’un des passages où l’on ne peut s’empêcher de sentir une profonde et navrante douceur. La foule a cessé ses clameurs et les cloches leurs volées. Seule, dans le grand silence, la voix du tzar s’élève pour haranguer le peuple. Mais d’abord elle s’élève à peine. Avant de retentir, impérieuse, impériale, sur les dernières notes, elle ne respire que la crainte et la détresse. Il semble que l’âme troublée, dolente, ait pitié d’elle-même, qu’elle se plaigne et se pleure. Et sa plainte, sa pitié nous gagne. Si coupable qu’elle soit, bien qu’elle nous fasse horreur, nous lui faisons miséricorde. Devant ce drame et ce personnage historique, nous méditons les leçons de l’histoire. Il en est de récentes, voire de présentes, capables de nous rendre moins odieuses même les pires horreurs du passé. Que pèse aujourd’hui le crime, le seul crime d’un tzar et sa victime unique, au prix de tout un monde égorgé par ses successeurs !

Grand réaliste, nous l’avons dit, c’est également un grand idéaliste que Moussorgsky. Le musicien est de ceux qui frappent également les touches extrêmes du clavier sentimental, les plus discrètes comme les plus éclatantes. En face du personnage douloureux, torturé, de Boris, voici la figure, admirable de calme et de sérénité, du vieux moine Pimène, « disciple de la paix. » Mieux que le disciple, il en est le maître. Il la répand autour de lui. Elle règne en ses moindres discours. Sa cellule (au second acte) en est l’asile. « Favellar in musica, » disaient les Florentins au XVIIe siècle. Je ne sais pas de plus bel exemple que le rôle entier de Pimène, de ce « parler en musique. » Parler tout uni, tout simple, infiniment pur et pieux inflniment.il ressemble à l’un ou l’autre « philosophe » de Rembrandt, ce vieillard