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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/113

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Lorsque je retourne à mes autres invités, je ne trouve plus trace d’inquiétude sur leurs figures ni dans leurs propos. On parle surtout d’une soirée que la princesse Léon Radziwill a organisée pour dimanche, qui sera nombreuse, brillante, et où l’on espère bien qu’il y aura de la musique et de la danse.

Nous nous regardons, Trépow et moi. La même phrase nous vient aux lèvres :

— Singulier moment pour organiser une fête ! »

Dans un groupe, on échange des appréciations sur les danseuses du Théâtre Marie, sur la préséance de talent qu’il convient d’attribuer à la Pavlowa, à la Kchéchinskaïa, à la Karsavina, etc.


Malgré le vent d’émeute qui souffle dans la capitale, l’Empereur, qui vient de passer deux mois à Tsarskoïé-Sélo, est parti ce soir pour le Grand-Quartier général.



Vendredi, 9 mars.

L’agitation des milieux industriels a pris, ce matin, une forme violente. De nombreuses boulangeries ont été saccagées, particulièrement dans le quartier de Viborg et à Wassily-Ostrow. Sur plusieurs points de la capitale, les cosaques ont chargé la foule et tué quelques ouvriers.

Pokrowsky me confie son inquiétude :

— Je n’attacherais, à ces désordres, qu’une importance secondaire, si mon cher collègue de l’Intérieur avait encore une lueur de raison. Mais qu’attendre d’un homme qui, depuis des semaines, a perdu tout sens des réalités et qui, chaque soir, délibère avec l’ombre de Raspoutine ? Cette nuit encore, il a passé des heures à évoquer le fantôme du staretz !


MAURICE PALÉOLOGUE.