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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/125

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heures plus tard, ils s’affaissent, et mangent du bout des dents, le cerveau vide à tel point qu’ils disposent leur bidons en file indienne dans le sens de la direction qu’ils ont à prendre le lendemain, parce qu’ils ont peur de ne plus la reconnaître à l’heure où, à l’aube incertaine, ils repartiront. Le général se sent à bout de forces ; comment est-il parvenu jusque-là ? Une plainte monte à ses lèvres, se renouvelle, se rapproche, s’obstine : « Mon dos ! Mon dos ! » Bernard le masse en versant sur le pauvre des endolori l’arquebuse qui réjouit la chair et engourdit la souffrance ; pour le chef, on prépare du phoscao et du lait condensé. La fatigue les écrase ; ils sommeillent.

Le 22, vers quatre heures du matin, Bernard et Vaslin ne se relèvent qu’à force d’énergie, et, quand ils sont debout, il leur faut aider le général à se redresser. Ils se traînent plutôt qu’ils ne marchent ; à chaque demi-heure, ils font halte d’un commun accord. Vers neuf heures, ils aperçoivent enfin l’avion ; c’est comme un ami qu’ils retrouvent ; mais, devant eux, il semble qu’il se dérobe. Quatre cents mètres avant qu’ils l’atteignent, le général s’immobilise, amenuisé. « Mes enfants, murmure-t-il, allez à l’appareil ; déposez vos affaires, vous viendrez me chercher ensuite. » Bertrand ne peut se résoudre à abandonner son chef, ne fût-ce qu’un instant ; il lui passe un bras autour du corps, délicatement, affectueusement ; le lamentable trio atteint l’avion dont le sable a recouvert les plans supérieurs qui touchaient le sable ; ils se réjouissent quand ils ont constaté que le radiateur est presque plein encore ; de leurs couvertures étendues, ils drapent leur appareil, et leurs corps pleins de soleil et de fièvre goûtent l’ombre voluptueusement. Le général a retrouvé sa sérénité ; il consigne les événements sur son carnet dans un style laconique et familier : « Les 19 et 20, reconnaissance vers l’Ouest ; le 22, rentrés à l’appareil, vannés à fond. » Puis, les mornes solitudes s’enténèbrent et s’assoupissent ; eux, somnolent.

Tout ce qui vit au Sahara pendant ce temps, est éveillé. D’abord, ç’a été une stupeur. Dès qu’ils entendraient les avions le 18 février, les postes devaient allumer un bûcher, puis, à vive allure, se porter jusqu’au poste suivant. (Rapport du capitaine Depommier.) Les postes n’ont rien entendu ; ils se sont énervés dans l’attente. Nulle onde émanée des postes de T. S. F. n’a ébranlé l’atmosphère embrasée. On s’interroge, on s’irrite,