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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/137

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EINSTEIN EXPOSE ET DISCUTE SA THÉORIE.

de la matière et de l’énergie. Cette contemplation idéale n’est pourtant point celle d’un rêve ; ce qu’elle scrute ce sont les réalités vivantes, ce sont les choses telles qu’elles sont sensibles ; car, pour Einstein, — et il ne cessera d’insister sur cette idée qui le sépare de certains de ses commentateurs, — l’abstraction mathématique n’est point une chose ailée qui peut s’égarer au hasard ; elle n’est et ne doit être que l’humble servante des choses telles qu’elles existent réellement. De temps en temps, il se penche vers M. Langevin assis à sa gauche et un peu en retrait, pour obtenir le mot nécessaire, le mot français qu’il a peine, suivant son expression, à « extraire de sa gorge. »

Parfois, c’est un vocable anglais qui lui vient aux lèvres, et je l’entends murmurer « assumption, » tandis que M. Langevin doucement lui souffle : « hypothèse. » Mais ces petites pauses, qui ralentissent parfois son débit, ne sont point sans agrément, car elles laissent le loisir à l’auditeur de mieux coordonner les raisonnements dont la succession, extraordinairement dense, fait de cet exposé le plus riche creuset à idées qu’on puisse imaginer. Et puis, comme pour atténuer la sévère gravité du discours, chaque fois qu’un mot ne vient pas facilement, Einstein sourit en attendant que M. Langevin lui livre le terme désiré, et ce sourire, si bien rendu par l’artiste Choumoff, a quelque chose d’infiniment séduisant ; il me semble qu’il est comme un regret courtois, comme une prière de ne se point fâcher de ces petites hésitations purement philologiques.

D’ailleurs Einstein par le sans aucune note, le regard très haut. Son geste habituel consiste à lever lentement les deux mains dont le pouce et l’index réunis semblent tendre entre elles et détendre successivement un fil invisible, le fil soyeux et souple de la démonstration.

Dans cette première séance, Einstein a déclaré dès le début vouloir se borner à une sorte d’exposé général des principes de la Relativité, ou plutôt de la méthode employée dans l’élaboration de cette théorie. Les séances ultérieures, a-t-il aussitôt ajouté, seront entièrement réservées à la discussion.

À vrai dire, dès cette séance initiale Einstein a, par son exposé même, amorcé la controverse et discuté avec la plus vive précision quelques-unes des critiques qui lui ont été adressées, quelques-uns des malentendus qu’a soulevés la doctrine nouvelle.