choses les plus opposées qu’on puisse imaginer sont, d’une part, l’apriorisme kantien et, d’autre part, le commodisme de Poincaré. « Entre ces deux attitudes de la pensée, ajoute-t-il, il faut choisir selon l’expérience ; c’est tout ce que je peux dire. » On devine qu’il ne considère pas l’expérience comme ayant été favorable à l’apriorisme de Kant.
Enfin, après un exposé remarquable de M. Le Roy, M. Bergson, sollicité de parler, rappela dans la forme séduisante et imagée qui lui est coutumière ses idées sur la notion de temps qu’il a scrutée, comme on sait, avec tant de profondeur. Le temps bergsonien, qui est si j’ose ainsi dire une sorte de « temps propre de notre âme, » ce sentiment de notre propre écoulement est aussi par quelque côté le sentiment de l’écoulement des choses qui nous entourent. Notre entourage participe à notre propre écoulement. Mais où s’arrête cet entourage ? Très loin de nous, nous pouvons imaginer d’autres consciences, des sortes de relais à travers l’Univers, et, par delà ces relais, une sorte de conscience universelle qui serait comme leur intégrale, et pour laquelle tout l’ensemble des phénomènes s’écoulerait. Ainsi la notion bergsonienne de durée se fondrait à la limite dans une sorte de temps universel. M. Bergson croit pouvoir penser qu’il n’y a pas antagonisme entre cette manière de voir et la conception relativiste du temps. Si on ne peut pas démontrer la concordance des deux conceptions, on ne pourra pas non plus sans doute démontrer leur discordance. M. Bergson pense par ailleurs qu’il peut y avoir quelque chose d’incommensurable entre le temps intuitif, qui est qualité pure, et le temps relativiste, qui est quantitatif. Pour conclure, il doute que la Relativité puisse se passer complètement du point de vue intuitif, lorsqu’il s’agit surtout de la notion de simultanéité des phénomènes dans laquelle il estime que nos sensations interviennent d’une manière variable.
Einstein, dans sa réponse, ne partage pas, sur tous les points soulevés, la manière de voir de M. Bergson. Il estime que le temps des philosophes ne peut pas différer de celui des physiciens : c’est le même. Il faut assurément, dans la définition du temps, commencer avec le temps intuitif qui est le sentiment de l’ordre dans lequel se succèdent nos états de conscience, et qui nous est donné. Deux individus qui s’entendent constituent déjà une première étape vers le temps objectif ; car… du moins