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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/239

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on ne regarde pas sans de cruelles angoisses se préparer dans l’Europe orientale un renouveau de la guerre, dont les assassinats, encore impunis, et les explosions de Gleiwitz sont des prodromes trop évidents, on s’est du moins félicité que l’accord officiel des Soviets et du gouvernement de Berlin ait été, à grand éclat, proclamé à Gênes. Qui donc maintenant en pourrait douter ? Les yeux vont s’ouvrir ; M. Lloyd George va comprendre ; ses préventions contre la Pologne vont tomber en face de l’évidence d’un péril imminent, d’un péril de guerre ; lui, l’apôtre de la paix universelle, qui rêve d’une réconciliation générale pour la reprise universelle des affaires, va se ressaisir, reconnaître que la France, plus directement exposée, a mieux discerné le péril ; il va nous aider à organiser la paix de l’Europe, en mettant d’abord hors d’état de nuire ces deux compères qui viennent de proclamer leur complicité, leur solidarité, en pleine Conférence, comme un soufflet à ses illusions. Parmi les chimériques espérances que la Conférence avait fait naître, et qu’elle risquait de décevoir, la révélation brusque d’un accord étroit entre la Russie des Soviets et l’Allemagne impénitente du pangermanisme, faisait entendre la voix de réalité, de la vérité.

De fait, pendant vingt-quatre heures, on put croire que la Conférence allait se mettre, animée d’un esprit tout nouveau, au travail, en écartant les manœuvres louches des Bolchévistes et les « déloyautés » des Allemands. En Angleterre, même parmi les journaux du libéralisme-radical, l’émotion était forte ; ceux qui s’étaient toujours efforcés de comprendre le point de vue français étaient renforcés d’arguments puissants. « Le coup de Rapallo est trop semblable au coup d’Agadir, écrivait le Morning Post, pour le traiter comme un simple incident... Lorsque le pacte russo-allemand a été proclamé, M. Lloyd George aurait dû répondre aussitôt par un pacte franco-anglais. » En Italie même, des journaux comme le Corriere della Sera montraient que les alarmes de la France n’étaient pas sans fondement. Enfin, aux États-Unis, la presse, jugeant de loin et de haut, concluait que la France avait vu juste.

Mais, à Gênes, M. Lloyd George avait déjà changé d’avis. Dans la journée du jeudi 20, il réunit, dans une grande représentation, la foule des journalistes présents à Gênes et leur fait d’étranges confidences. L’Allemagne est assez punie puisqu’elle a dû accepter son exclusion de la commission des affaires russes ; on peut considérer l’incident comme clos, se remettre au travail, et aboutir à ce pacte général européen pour la paix qui est la grande pensée du Premier