Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/356

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux mathématiques l’œuvre du tempérament. Personne n’a reconnu le polytechnicien sous la souple composition des romans de M. Marcel Prévost ; et tous deux pourtant ont subi à la même époque, de la part des mêmes professeurs, la même discipline intellectuelle. Non seulement M. Estaunié n’a point transporté dans les vivants problèmes de morale et de psychologie la rigueur des théorèmes ; mais je sais peu d’hommes plus éloignés des applications qu’on prétend faire de la méthode scientifique aux questions qui touchent l’âme humaine et les arts. Si les études scientifiques ont agi sur lui, ce n’est pas comme on l’entend d’ordinaire. Elles lui ont seulement donné le moyen d’acquérir un sens plus complet et plus aigu de la vie moderne. Il est excellent que l’écrivain, qui se propose de nous la peindre, ait fait le tour des connaissances de son temps et qu’il ait au moins traversé ces laboratoires dont les lueurs, qui s’en échappent, colorent, même à notre insu, nos pensées et notre imagination. L’éducation scientifique est plus utile à un romancier né que l’éducation exclusivement littéraire qui peut développer son esprit critique, mais intimider sa faculté de création. Elle a aussi cet avantage qu’elle ouvre à son activité en même temps qu’à son expérience psychologique des milieux qu’en général l’homme de lettres ignore ou n’étudie que de l’extérieur. Il importe peu qu’il n’en tire ni ses décors ni ses personnages : la seule chose qui compte est d’avoir pu multiplier sous différents éclairages ses observations de la nature humaine.

A sa sortie de l’Ecole, ayant manqué de quelques rangs les carrières civiles, il démissionne et suit des cours de droit. Le droit lui parut beaucoup plus loin des mathématiques que la théodicée. Mais il était dit que les mathématiques ne le lâcheraient pas. Un concours se présente pour l’emploi d’ingénieur des Postes et Télégraphes : il le passe, et le voilà définitivement embarqué. Ce fut en qualité d’élève ingénieur qu’il fit son premier voyage en Belgique et en Hollande. Il en rapporta des impressions de tableaux qu’il réunit plus tard dans un petit livre, le seul de lui qui ne soit pas un roman. Mais le romancier y est déjà. Je vous recommande ce qu’à propos de Peter de Hoock il écrivait de « l’ambiance. » Le milieu nous livre la clef des événements violents et des actes précis. L’ambiance nous révèle l’âme au repos, car l’âme sur tous les objets, qui forment la trame de sa vie, « met son dessin et ses chatoiements. » Elle