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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/359

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mois plus tard, M. Millerand, devenu gouverneur de l’Alsace, le fait venir à Strasbourg et le nomme à la présidence de la Commission des liquidations d’Alsace-Lorraine. Il s’agissait d’établir le cahier des charges relatif à la liquidation des biens qui dépassaient cinq cent mille francs et dont beaucoup atteignaient des centaines de millions. La Commission désignait aux tribunaux la personne à qui le bien devait être accordé et le prix auquel on devait le liquider. Il est inutile d’appuyer sur les qualités qu’exigeaient des opérations aussi considérables et aussi délicates. Songez seulement à la somme d’expérience que représentent ces diverses situations. Directeur de Ministère, il a vu de près les ouvriers et leurs syndicats ; et, s’il s’est fait aimer d’eux, c’est par son esprit de justice et sa fermeté, non par ses complaisances. Président des liquidations, il a vu d’aussi près les hommes d’affaires qui certainement lui ont paru bien plus redoutables. Balzac lui aurait envié ce poste d’observation. La main sur des dossiers d’où l’or ne demandait qu’à ruisseler, il était là comme au centre de l’attraction des mondes.


Il avait servi l’État trente-quatre ans sans interruption. Ses mois de congé, il les avait employés à voyager en Espagne, en Sicile, en Italie, en Suisse, jusqu’en Roumanie ; mais il n’avait pas porté aux cités étrangères un cœur oublieux de son pays. C’est encore la France qu’il connaît le mieux. Il est l’hôte enchanté des petites villes, l’explorateur ravi de leurs trésors, l’amoureux des vieilles pierres et des paysages qui ont une histoire. Et il aime beaucoup aussi les gens qui en ont une ou qui en ont eu plusieurs. C’est comme un fait exprès ; partout, ou presque partout, il dépiste des personnages qui, par leurs aventures ou par le mystère de leur vie, aspirent, sans le savoir, à entrer dans un roman. La vérité est qu’il est partout romancier. Il l’est devant les tableaux d’un musée, devant la Dentellière de Van der Meer ou devant la Bohémienne de Hals ; il l’est lorsqu’il parcourt une ville et que, tombant en arrêt, il essaie de déchiffrer la physionomie inquiétante d’une vieille maison ; il l’est quand il raconte ses voyages ; il l’est dans l’hôtel où il descend et dont l’hôtelier, à moins que ce ne soit l’hôtelière, ne parvient pas à lui dissimuler qu’un secret lui ronge le cœur. Il l’était souvent derrière la table de son bureau, quand il plongeait