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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/387

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leurs chevaux et leurs suites s’alignaient à l’ombre, sous le portique. Djemal s’avança vers les Bédouins et leur tint à peu près ce discours, que m’expliqua mon interprète : « Je vous demande de faciliter la tâche des agents que j’ai chargés de recenser vos tribus. N’ayez aucune crainte : mon intention n’est pas d’exiger de vos peuples le service militaire, auquel ils n’ont jamais été astreints, ni même de les soumettre à l’impôt, qu’ils n’ont jamais payé. Mon seul souci est d’augmenter votre bien-tre ; et, pour cela, j’ai besoin de connaître le nombre des tribus qui peuplent le désert, leur importance et celle de leurs troupeaux. » Lorsque Djemal eut parlé, les chefs bédouins s’inclinèrent devant lui, cérémonieusement, sans prononcer un mot, et retournèrent à leurs chevaux ; le long cortège blanc défila sans hâte sous le portique. En l’espace de huit jours, les huit courriers qui étaient partis de Bagdad pour porter à Damas les dépêches du gouverneur, furent assassinés en traversant le désert ; on retrouva leurs corps mutilés selon l’usage : telle fut la réponse des Bédouins au discours du gouverneur. Djemal renonça à son projet.

Voilà le peuple que l’Emir Faïçal et ses protecteurs anglais invitent à élire un parlement, à payer des impôts, à obéir à des lois ! L’entreprise est laborieuse et l’on ne voit pas bien quels en peuvent être les résultats. Les Bédouins nomades, qui forment la plus grande partie de la population de l’Irak, ne furent jamais soumis que nominalement à l’Empire turc. Leurs chefs se considèrent comme maîtres absolus des territoires qu’ils occupent, et le moins qu’ils exigent des caravanes qui les traversent, c’est un droit de passage, que nul voyageur ne s’avise de leur refuser. Depuis des siècles, ils parcourent le désert, transportant leurs camps d’une région à une autre suivant des règles invariables, vivant un peu d’élevage et beaucoup de rapine. L’idée d’envoyer des députés à Constantinople leur eût paru bouffonne : vont-ils en envoyer à Bagdad ?

A côté des tribus nomades, il y a la population sédentaire, fixée aux bords des deux fleuves et de leurs affluents ; elle est tantôt ramassée dans de grandes villes comme Mossoul et Bagdad, tantôt éparse le long des rives, formant des bourgs ou des hameaux. Là se pose un autre problème, celui des races. Qu’ont à faire avec un royaume arabe les Kurdes et les Chaldéens qui peuplent la région comprise entre Mossoul et les montagnes