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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/411

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le travailleur y sent un gel subtil recouvrir peu à peu le champ de ses méditations ; combien alors la flamme est douce au corps engourdi et à l’esprit rétracté !

Ainsi, jusqu’à la saison des feuilles et des ombrages, les arbres amis t’auront encore aide à passer l’hiver dans la maison, depuis les poutres du toit jusqu’au bois de ta bergère, à ta table, à ta bibliothèque, et aux violons pleins d’harmonie dont tu aimes les concerts pendant les mois sombres. Tu songes que de tout ce qui n’est plus sort une beauté ou une utilité nouvelles, — aussi vaines d’ailleurs que ce qui n’était plus. Mais qu’importe, si le sage en tire un moment quelque plaisir ou quelque réconfort !

Une bûche dans l’âtre... Allons ! encore une bûche. Mais la souche humide se plaint et noircit ; une petite flammèche bleue l’attaque sans puissance ; évidemment, à la flamme capricieuse cette bûche ne plaît pas...

De même, ta fantaisie exténuée n’entamera pas la dure pensée, n’en saura plus faire une chaleur dansante, une clarté qui brûle et détruit en étincelant.

Et c’est en vain que tu tisonnes ; la braise expire ; aucun pétillement n’annonce un jaillissement imprévu d’ardeur nouvelle. Comment remettre en appétit cette rassasiée ? N’as-tu pas là quelque bouquin dont tu condamnes le style et les idées, quelques lettres insignifiantes, quelque stupide manuscrit gribouillé par toi-même ? Non, non ; tout cela est indigne de l’autodafé. On ne brûle que ce qu’on aime.

Donc tu grelottes et le feu s’éteint et la nuit est encore longue. Tout est dévoré ; tout n’est plus que cendre ; en toi même et dans l’âtre. La sagesse ne te tiendra pas chaud, ô philosophe. Crois-moi : va donc te coucher.

Mais, sans te plaindre ou t’obstiner contre ce qui ne veut pas être, tu délaisses le foyer sombre et tu te chauffes, oui, en vérité, tu te chauffes et d’un air, ma foi, fort content, ô vieux sage ! à ces tulipes perroquet...


GERARD D’HOUVILLE.