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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/456

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M. Huldermann ne le confirme ni ne le dément. Meurt-on de douleur à soixante ans ? Ballin manqua-t-il de courage ? Selon l’idée qu’on se sera faite de lui, chacun est maitre de terminer le roman à son gré.

Sa mort et la ruine de son œuvre délivraient l’Angleterre d’un cauchemar. Ballin eut la gloire de se dire que la Hamburg America était un des « buts de guerre » britanniques. « Tout le monde me traite d’anglophile, écrit-il, et l’Empereur lui-même : et pourtant, je suis le seul Allemand qui ait le droit de dire qu’il fait la guerre depuis trente ans à l’Angleterre pour la maîtrise de la mer. Dans ce domaine, si j’ose risquer cette métaphore, je lui ai pris tranchée sur tranchée, et chacun de mes gains n’a été qu’une base de départ pour un nouvel assaut, dès que j’avais les moyens de renouveler l’attaque. »

Aujourd’hui, l’Angleterre a gagné la partie ; elle a éliminé des mers la flotte de Tirpitz, et le Bismarck, le chef-d’œuvre des chantiers de Ballin, fait désormais la course de Liverpool à New-York à la gloire du pavillon anglais. La guerre navale a été gagnée militairement. Mais le vieux pays de la Hanse a plus d’un tour dans son sac. Qu’avons-nous besoin de colonies ? écrit à peu près Ballin. Nous avons celles des Anglais. « Dans tous les Dominions, c’est nous qui détenons les grosses situations, et le régime de la porte ouverte fait le plus clair des ressources de l’Empire allemand... Déjà l’Angleterre est incapable de marcher du même pas que nous. S’il ne lui restait pas la puissance du capital, si un flot d’or ne lui arrivait sans cesse de ses colonies, il y a longtemps que les Anglais, repus et conservateurs, ne seraient plus pour nous, comme rivaux sur le marché mondial, qu’une quantité négligeable. » Peut-être nos amis anglais auront-ils profit à relire ces déclarations d’un « anglophile » et d’un champion du Deutschtum pacifique. Je les engage à méditer ces textes, au moment où ils ne songent qu’à faire du commerce avec l’adversaire d’hier et à cimenter de leur mieux le bloc germano-russe. Leur plus redoutable ennemi, ce n’est pas Tirpitz, c’est Ballin.


LOUIS GILLET.