Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/523

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— La session de la Douma est prorogée au mois d’avril et nous avons expédié un télégramme à l’Empereur pour le supplier de revenir immédiatement. A l’exception de M. Protopopow, mes collègues et moi nous avons tous estimé qu’il y a urgence à instituer une dictature, qui serait confiée à un général jouissant de quelque prestige aux yeux de l’armée, par exemple le général Roussky.

J’objecte que, d’après ce que j’ai vu ce matin, la fidélité de l’armée est déjà trop ébranlée pour qu’on mette toutes ses espérances de salut dans l’emploi de « la manière forte » et que la nomination immédiate d’un ministère inspirant confiance à la Douma, me paraît plus que jamais nécessaire ; car il n’y a plus une heure à perdre. Je rappelle qu’en 1789, en 1830, en 1848, trois dynasties françaises ont été renversées pour avoir compris trop tard le sens et la force du mouvement qui les assaillait. J’ajoute que, dans des circonstances aussi graves, le représentant de la France alliée a le droit de faire entendre au Gouvernement impérial un conseil de politique intérieure.

Buchanan s’exprime de même.

Pokrowsky nous répond qu’il partage personnellement notre opinion, mais que la présence de Protopopow au Conseil des ministres paralyse toute action.

Je lui demande :

— N’y a-t-il donc personne qui puisse ouvrir les yeux de l’Empereur sur la situation ?

Il esquisse un geste de découragement

— L’Empereur est aveugle !

Une profonde souffrance se peint sur le visage de cet honnête homme, de cet excellent citoyen, dont je ne vanterai jamais assez la droiture de cœur, le patriotisme et le désintéressement.

Il nous propose de revenir le voir à la tin de la journée.

Quand je rentre à l’ambassade, la situation a beaucoup empiré.

Les nouvelles sinistres se succèdent. Le Palais de Justice n’est plus qu’un immense brasier ; l’arsenal de la Liteïny, l’hôtel du ministre de l’Intérieur, l’hôtel du Gouvernement militaire, l’hôtel du ministre de la Cour, les bâtiments de la Sûreté, de la trop fameuse Okhrana, une vingtaine de commissariats