Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/545

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quelques jours avant la Révolution, je vous signalais que les décisions de la récente conférence étaient déjà lettre morte, que le désordre dans les fabrications de guerre et dans le service des transports recommençait de plus belle, etc. Le nouveau Gouvernement est-il capable de réaliser promptement les réformes nécessaires ? Il l’affirme avec sincérité, mais je n’en crois rien. Ce n’est plus seulement le désordre qui sévit dans les administrations militaires et civiles : c’est la désorganisation et l’anarchie.

En me plaçant au point de vue le plus optimiste, que pouvons-nous escompter ? Je serais libéré d’une grande angoisse, si j’étais certain que les armées du front ne seront pas contaminées par les excès démagogiques et que la discipline sera bientôt restaurée dans les garnisons de l’intérieur. Je ne m’interdis pas encore cet espoir. De même, je veux croire que les social-démocrates ne traduiront pas en actes irréparables leur désir de terminer la guerre. J’admets enfin que, dans certaines régions du pays, il puisse se produire comme un réveil de ferveur patriotique. Il n’en restera pas moins un affaiblissement de l’effort national, qui déjà n’était que trop anémique et ataxique. Et la crise de réparation risque d’être longue, chez une race qui a si peu l’esprit de méthode et de prévision.


Après avoir expédié ce télégramme, je sors pour visiter quelques églises ; je suis curieux de voir l’attitude des fidèles à la messe dominicale, depuis que le nom de l’Empereur est supprimé des prières publiques. Dans la liturgie orthodoxe, la protection divine était continuellement appelée sur l’Empereur, l’Impératrice, le Césaréwitch et toute la famille impériale ; l’oraison revenait, à chaque instant, comme un refrain. Par ordre du Saint-Synode, la prière pour les souverains est abolie et rien ne la remplace. J’entre à la cathédrale Préobrajensky, à l’église de Saint-Siméon, à l’église de Saint-Pantéleimon. Le spectacle est partout le même : public grave, recueilli, échangeant des regards étonnés et tristes. Quelques moujiks ont l’air dérouté, consterné ; plusieurs ont les larmes aux yeux. Cependant, même parmi les plus émus, je n’en vois aucun qui ne soit affublé d’une cocarde rouge ou d’un brassard rouge. Ils ont tous travaillé à la Révolution ; ils y sont tous acquis : ils n’en pleurent pas moins leur petit père le Tsar, Tsary batiouchka !

Puis, je me rends au ministère des Affaires étrangères.