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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/566

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des buts est un phénomène presque inévitable aux époques de raffinement extrême et où chaque art ne peut plus s’enrichir qu’en empruntant au voisin. Il y a longtemps que nous voyons le bijou devenir de la peinture avec des pierres ou des émaux pour couleurs, la porcelaine se faire aussi opaque et lourde que du bronze, le verre perdre sa transparence, et se sculpter comme du marbre, le bois se mouler comme du métal, ou au contraire s’aplatir en minces lames comme les couleurs d’un tableau. Nous voyons aujourd’hui, en statuaire, tantôt la pierre imiter le bois grossièrement équarri et taillé, tantôt le marbre s’effiler et se tordre en des volutes que le bronze seul peut sans danger réaliser. Partout, d’un bout à l’autre des Salons, est écrite en caractères indéniables, quoique inavouée, cette hantise d’échapper aux effets d’une matière ou d’une technique trop connue.

D’autres cherchent ce rajeunissement dans ce qu’on pourrait appeler le néo-ingrisme. Il était bien difficile qu’après tant de rétrospectives de M. Ingres et de panégyriques, les « jeunes » ne fussent pas tentés de lui prendre quelque chose. Ils lui ont pris ses défauts. C’est ainsi qu’on voit, çà et là, sous couleur de simplifications et de « volumes, » des poupées géantes de bois ou de carton verni, aux jointures épaisses, aux articulations gonflées, qui ne pourraient jouer qu’en se cassant. Nul n’éprouve ni émotion d’Art, ni plaisir, ni intérêt d’aucune sorte à leur aspect, mais on arrête toute critique en la prévenant que c’est « voulu. » Car la préméditation est, dans ces crimes esthétiques, une excuse péremptoire et un signe de prédestiné. On voit encore des paysages faits de morceaux de carton-pâte ou de fer-blanc à figures géométriques, enluminés de couleurs glaciales, qui rappellent les anciens jeux de construction pour enfants. Il ne donnent guère plus la sensation de la nature que les tableaux cubistes.

Les protagonistes de ces choses se félicitent fort d’avoir enfin rompu avec les enseignements de l’Ecole et de ne rappeler, ni Corot, ni Ruysdael, ni Théodore Rousseau, ni Turner. En effet, ils ne les rappellent point. Mais ils évoquent invinciblement l’idée d’un mauvais élève d’une école primaire de dessin. Le châtiment de ceux qui s’efforcent de ne pas ressembler à un maître, c’est de ressembler à un écolier : ils continuent donc il ressembler à quelqu’un et à ne pas être eux-mêmes. S’ils ne ressemblent pas à quelqu’un qui fait bien, ils ressemblent à