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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/584

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C’est un grand point : sous couleur que nous étions gens du XXe siècle, les théoriciens de l’Art nouveau prétendaient nous interdire les formes avenantes et serviables créées pour ceux du XVIIIe, et nous mettre à la question sur divers chevalets de torture créés tout exprès pour nous. Comme si l’homme de notre temps aimait moins ses aises que ses ancêtres, et s’il y avait apparence qu’il les sacrifiât à la vanité de vivre dans un meuble inconnu à Mme Geoffrin ! Nous voici hors de ce cauchemar. Mais alors, il n’y a plus de « style » péremptoirement nouveau, de style XXe siècle, et tout est à recommencer sur de nouveaux frais.

Les artistes ne sont pas encore sortis de cette alternative : ou bien leur meuble est pratique, maniable, serviable, aussi bien adapté à notre vie que les anciens, — et alors, il n’offre pas de formes agressivement nouvelles, qui le fasse connaître pour être du XXe siècle, — ou bien il offre ces formes, mais alors il ne peut servir de rien. Oh ! sans doute, en tout état de cause, il se révèle « moderne » par sa couleur : des incrustations, des choix de bois précieux et diversement colorés, des combinaisons de teintes peu connues jadis. De même, les tissus, les tentures, les papiers peints, les couvertes des céramiques ou la composition colorée des verreries. Là le progrès est acquis, mais il l’est depuis longtemps et nos actuels décorateurs n’emploient même pas les huit cents bois dont se composait la palette de Galle. Mais tout cela, c’est de la décoration plane, et ne suffit pas à constituer un style. On aura beau peindre, ou tendre comme l’on voudra, les murs d’une cathédrale gothique, elle restera gothique ; ou décorer de couleurs nouvelles, même prises dans la pâte au grand feu, un lécythe ou un œnochoé, il n’en restera pas moins un vase grec. On ne peut imprimer à un objet le caractère d’un style nouveau que si l’on en modifie la silhouette extérieure, la forme dans les trois dimensions, — ce qu’on pourrait appeler la décoration cube. Tant qu’on ne l’aura pas fait, et fait heureusement, c’est-à-dire sans rien sacrifier du confort et des aises de la vie moderne, on n’aura pas résolu le problème.

Est-il, d’ailleurs, bien nécessaire de le résoudre ? Nullement. Nous n’avons pas besoin de nouvelles formes, tant que les anciennes s’adaptent exactement à notre manière d’être. Tout au plus, aurions-nous besoin qu’on revêtît de quelque grâce ou d’un soupçon de beauté les engins nouveaux que les artistes du passé ne