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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/589

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la même. Comme cela flotte sur l’eau bleue, comme cela vient couler dans la petite anse dont personne jamais ne dérange le secret ! On doit commencer de s’assembler là-bas, au-dessus de la cale, sous les grands arbres de l’église. Voici le vieil enfant qui revient, toujours avec son expression de bonheur intime dans ses yeux d’innocent, mais accrue d’une expression d’importance.

— Sûr, dit-il, y aura encore la procession !

— En l’honneur de quel saint ?

Il ne sait pas. C’est comme cela, cet automne : des processions presque chaque dimanche, comme, chaque semaine, des danses de baptême et de noce, en robes et chapeaux fleuris d’argent, autour de la petite église.

Un papillon bleu passe sur la grève, et se pose, ailes tremblantes, à l’extrême fleur d’un ajonc. Et maintenant, à la pointe de P..., à l’orée marine du bois, voici paraître de sages Bretons, en belle tenue dominicale du pays de Fouesnant. Je distingue le grand chapeau à boucle de l’homme et, par derrière, dans l’ombre verte, la douce blancheur des coëffes ailées et des guimpes. Ils embarquent sur le canot du garde-chasse. Une voile brune se lève : les voici partis. Fermiers du château voisin qui s’en vont à la grand messe, dociles comme leurs pères à l’appel des douces cloches, dans la paix d’un jour béni.


C’est tout près de là dans la profondeur de la futaie, que j’aime à venir oublier la mer. Ce matin, le repos y est plus profond que jamais, presque solennisé par le bruissement sans fin du vent sur le haut plafond des ramures. En bas, dans la pénombre close, entre les tiges des grands pins, rien ne remue. A peine si quelque rais de soleil filtre et se pose en molle traînée sur les mousses. Immobile demi-jour, engourdissante moiteur... Je suis là dans la profondeur dormante de la vie. Là-haut, dans la lumière de l’espace, sous les splendides nuages en fuite, elle se déploie, tressaille en millions de feuilles qui respirent. Mais ici, dans l’ombre tiède, seulement ce long murmure infini, et la tombée sans bruit des aiguilles sèches, une à une, sur le feutre qu’ont épaissi toutes les aiguilles d’antan. Feutre profond, décomposé par les pluies, changé par-dessous en mol humus nourricier. Dépouille de la vie revenue au sein obscur d’où remonte en silence, inépuisablement, la vie.