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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/599

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Une chose lui donne du contentement : maintenant qu’il ne sort plus que la nuit, il peut aller le dimanche à la grand’messe comme tout le monde. Des années qu’il était resté sans entendre une messe chantée. M. le Recteur prêche bien, en bon breton. On est bien là avec les autres. Et il y a les prières pour les trépassés, la longue lecture de leurs noms en chaire ; il y en a tant qu’il a connus ! Il entend les noms de sa défunte, de ses frères. C’est comme s’ils étaient là Tout le monde est ensemble. Alors il est tranquille, il trouve que l’idée de la mort n’est pas triste.

— Est-ce que vous y pensez, vous, au grand voyage ? Il faut y penser...

... Tout de même, je serais été content de durer encore un peu pour voir courir ma filleule...


Voilà ce qu’il y a de si touchant chez tant d’humbles gens, marins et paysans de ce vieux pays, où les choses mêmes, — une silhouette oblique d’arbre, un buisson qui remue sur le ciel noir, ― sont expressives et comme pénétrées d’âme. L’âme, on la voit si vite, chez eux ! Elle transparaît comme les fonds d’algues dans le cristal de la rivière, — en toute sa simple vérité, avec son dessous profond de rêve et de sentiment. Ils sont aussi loin des septentrionales disciplines de méfiance, d’orgueil et d’individualisme que des banales, excessives expansions du Midi. S’ils se gardent, s’ils se taisent, c’est timidité, sauvagerie. S’ils se livrent (généralement à voix basse), c’est qu’ils se fient à vous ; c’est déjà de l’amitié. Pour les connaître, il faut gagner leur cœur, atteindre le dessous sensible qui est le principal de leur être.

Oui, des amis, de simples amis, que je retrouve là d’année en année, chacun invariable, comme ces arbres de la rive, dont le geste m’est une habitude. Avec eux, dans ce paysage qui demeure encore ce qu’il fut toujours (que de choses, en Bretagne, qui duraient depuis des âges, ont commencé hier de changer, — et c’est pour toujours !), j’ai chaque fois le sentiment de revenir à quelque année antérieure. Pour qu’ils s’attachent, il faut le souvenir. Ils ne semblent vivre que dans le souvenir, dont l’habitude est une forme. Ils ne vous parlent jamais que du passé. Il compte tellement plus pour eux que le présent et le futur ! On dirait qu’ils ne projettent, n’entreprennent rien ; on