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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/60

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En admettant le contraire, comme vous le sous-entendez pieusement à propos de M. Dangennes, que vaut un sacrifice dont on tire un profit aussi considérable ? Je ne dis pas que M. Dangennes exploite lui-même sa légende. Je reconnais qu’il observe depuis toujours un mutisme absolu sur son cas, à supposer une fois encore que le cas subsiste. Mais il est déjà trop qu’à la faveur de ce mutisme absolu il ait permis à ses amis et permette aujourd’hui à ses élèves, comme je vois, d’exploiter pour lui et pour son œuvre cette légende d’un sacrifice que lui-même a peut-être oublié. Il n’est pas sans le savoir. Il a comme intime ami M. Philippe Pageyran, auquel aboutit tout ce qui le concerne. Et il jouit d’une autorité assez grande sur M. Pageyran, sur tous ses fidèles, vieux ou jeunes, pour supprimer, s’il le voulait, cette situation ambiguë.

Vous m’objecterez la beauté de son silence et l’indiscrétion dont il se chargerait en parlant plutôt qu’en continuant de se taire.

Je vous répondrai qu’il y a des silences plus indiscrets que certaines paroles. Songez que M. Dangennes n’est pas le seul intéressé dans cette affaire. Une femme existe, infiniment digne, qui peut souffrir de ces murmures. Elle a un fils de votre âge ou à peu près, monsieur. Elle appartient à un monde qui n’est pas sans contact avec le nôtre. Et il lui arrive de rencontrer M. Dangennes, très rarement, soit, au milieu d’assemblées nombreuses, je le veux bien, du regard seulement, je le veux encore, en dehors de toute préméditation, je le veux toujours. Mais ces rapprochements fortuits et en quelque sorte distants réveillent la langue de certains témoins, sans intention mauvaise. Au contraire, on croit bien faire et flatter les deux héros en signalant la constance si belle et si haute de l’un d’eux. La légende continue de fleurir jusque dans le monde, d’autant plus impressionnante et justifiée que M. Dangennes s’en tient à l’écart par ce silence volontaire. Que savons-nous s’il n’y va pas de la paix d’un ménage ? De petites choses la troublent souvent plus que les grandes. Et M. Dangennes, par galanterie, serait bien inspiré d’ordonner la fin de tous ces chuchotements.

Mais laissons ce point qui nous éloigne de vous. Laissons aussi la question du profit momentané que l’œuvre de M. Dangennes peut retirer de circonstances étrangères à elle-même. Si je me suis engagé sur ce terrain glissant, c’est à votre suite, et