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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/612

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Pauline de Beaumont, et, antérieurement, le secrétaire du père de celle-ci, M. de Montmorin, ministre de Louis XVI, jusqu’en 1792. Pendant que Pauline s’ensevelissait dans le Senonais et la Bourgogne pour laisser passer la Terreur, il paraît avoir veillé discrètement sur le peu de bien qui restait à la jeune femme ; c’est chez lui qu’en 1802 elle avait déposé son testament...


1802... Printemps tout bruissant de cantiques et de cloches ; Chateaubriand vient d’être projeté dans la gloire définitive ; il n’y a pas un mois que le Génie du Christianisme a commencé d’étinceler aux vitrines ; Pauline de Beaumont, la tendre femme qui, tout l’été précédent, dans la « solitude riante » de Savigny, a enveloppé d’un même amour le chef-d’œuvre et son auteur, la trop tendre femme qui a pris pour devise : Un souffle m’agite... défaillante en plein bonheur, se sent touchée d’un funèbre pressentiment ; le 5 mai, dans cet appartement de la rue Neuve-du-Luxembourg où vient chaque jour l’ensorceleur à qui elle craint d’être à charge désormais que le voilà célèbre, elle se représente sa mort ; elle fixe ses volontés et, sans en rien dire à personne de « la plus charmante société qui soit, » elle les porte à l’homme dévoué qu’elle commet au soin de les accomplir...

Puis, elle continue de vivre, en aimant tour à tour et en maudissant la vie, en montrant à la fois cette frayeur et cet appétit de mourir dont Joubert la réprimandait ; presque chaque jour, elle subit le prestige de « l’enchanteur » à cause de qui seulement elle désire encore ne point mourir trop vite, presque chaque soir, elle exerce, enchanteresse elle-même, un prestige d’amitié sur le cercle d’hommes distingués, tous un tantinet amoureux d’elle, qui se réunissent autour de son lent et mélancolique sourire...

Mais au printemps de 1803, qui devait être son dernier printemps, quelle lassitude, soudain, l’accable, ou quel pressentiment ?... Sa santé fléchit encore : a-t-elle appris que, depuis deux ou trois mois, celui de qui elle tire toute sa raison de vivre, a commencé, dans le secret, de dispenser ses sortilèges à une autre asservie ? qu’à Delphine de Custine il écrit : « L’idée de vous quitter me tue... » et : « Je ne vis plus que dans l’espérance de vous revoir ?... » Ou bien, son âme trop lourde, brusquement affaissée, opprime-t-elle la fragilité de son corps ?... Jusqu’ici dolente, la voilà malade, sérieusement malade, et