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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/637

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Cette réfutation, dont le ton, au total, était plus modéré que celui de son pamphlet, et sur laquelle il n’avait que l’avantage du génie, dut être parfaitement désagréable à Chateaubriand. Sans doute n’intervint-il point lorsque, peu de mois après la seconde Restauration, dans l’hiver de 1815-1816, Charles-Joseph Bail fut par le ministre u rayé du corps des inspecteurs ; » quelle raison eut-il donc d’intervenir pour faire rapporter ou adoucir la mesure ?

Le destitué lui envoya « ses amis, » affirme-t-il dans les Mémoires ; est-ce trop conjecturer que d’affirmer que Mme Bail vint trouver, d’elle-même, Chateaubriand ? Elle avait alors vingt ans au plus. A quarante ans, elle devait apparaître presque laide ; mais c’est une femme qui l’affirme ; et cela empêche-t-il qu’à vingt ans elle put apparaître presque jolie ? Elle était, au surplus, intelligente, spirituelle, sensible ; l’une de ces jeunes femmes, contemporaines d’Elvire, dont la poésie des Martyrs et d’Atala avait envoûté le cœur ; sincèrement, sans doute, elle regrettait la trop rude attaque de son mari contre un écrivain qu’elle admirait... Elle le dit ; elle dit aussi que la décision du ministre de la guerre risquait de la réduire à la misère ; car, au service de l’Empereur, Bail n’avait point fait fortune ; il ne possédait que sa solde. Il comptait bien, à défaut de l’épée, manier la plume ; il avait du style et des lettres ; en ce moment même, il écrivait un ouvrage en faveur des Juifs contre qui plusieurs villes d’Allemagne ressuscitaient des règlements du moyen âge. Mais des livres, que rapporteraient-ils ?... Mme Bail fut touchante ; elle fut pressante ; et Chateaubriand écrivit au ministre de la guerre.

Dès l’année suivante, le nom de Mme Bail apparaît dans ses lettres à M. Le Moine. Chaque mois il fait passer un secours à « cette pauvre femme, » — généralement un secours de 100 francs. Et il en considère le paiement comme une sorte d’obligation sacrée à quoi, dans ses plus pressantes nécessités, il se reprocherait de manquer. En 1817, même au fort de sa misère, au château de Montboissier, où sa femme, par surcroit d’ennui, vient de tomber malade, et où il a dû mander le célèbre médecin Laennec, — il n’a garde d’oublier sa pensionnée ; et il écrit à M. Le Moine : «... J’ai remis à Laennec cent francs pour vous. Vous voudrez bien les donner à M. ou Mme Bail, qui se présenteront pour les recevoir. C’est une dette pour un