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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/640

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VI. — LE DÉPART POUR BERLIN

A la fin du mois d’octobre 1817, réinstallés à Paris, au numéro 42 de la rue du « Bacq, » dans l’appartement que la diligence de M. Le Moine leur a découvert, et où ils n’ont eu que la peine d’entrer, M. et Mme de Chateaubriand y admettent, sur le pied d’une intimité confiante et à peu près quotidienne, le vieil homme auquel ils doivent une part de leur tranquillité retrouvée. Comment ne serait-il pas confirmé de façon définitive dans sa charge de « ministre des finances ? » Chateaubriand, dès cette époque, semble-t-il, lui donne, pour toucher son traitement et administrer ses diverses ressources, une procuration en forme... Quant à Mme de Chateaubriand, elle fait éclater librement devant lui ses fureurs contre les ministres jacobins » et contre tous les impies qui, dans « la Babylone moderne, » n’admirent pas le génie politique de son mari...

Mais M. Le Moine est fier, un peu cérémonieux ; il craint d’abord d’importuner. Mme de Chateaubriand insiste pour obte- nir sa visite ; elle le prie, le reprie à diner, et s’ingénie à varier, pour lui, en trois lignes, toutes les formes de la politesse et de la familiarité ; elle le sait un tantinet gourmand, d’ailleurs, et elle tente de lui faire venir l’eau à la bouche :

« Je crois qu’hier la prière n’a pas été faite en forme. La voici, en belle écriture : viendrez-vous ?... »

« Pour troisième publication, venez aujourd’hui manger de la carpe à la graisse d’oie, et un plat de lard avec des choux !... »

« Malgré nos disputes, je suis toujours inquiète, quand je ne vous vois pas. Venez donc, car j’ai un service à vous demander : c’est dîner que j’entends. »

« Je dine chez moi, ce n’est pas une prière que je vous fais, car vous êtes né prié : mais un avertissement que je vous donne ; venez sans faute. »

Très souvent, cependant, Chateaubriand dine hors de chez lui ; les petits billets, ces jours-là se font plus pressants, et même ils se chargent de tristesse :

« Je crains que vous ne soyez enrhumatisé. Si vous ne criez pas vos reins et ne craignez pas la pluie, venez diner avec