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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/654

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de préparer cette opinion américaine, qu’ils voulaient ignorer [1], à la surprise de voir réclamer des augmentations considérables de tonnage dans une conférence réunie pour obtenir, au contraire, de larges réductions, nos experts navals exposèrent, bonnement, un programme de construction de grandes unités qui répondait sans doute à leurs préférences personnelles, en fait de types de navires, et dont l’ampleur satisfaisait leur tenaces espoirs dans la pérennité du dreadnought, mais qui, dès l’abord, apparut à leurs auditeurs comme une audacieuse gageure, sinon comme une sorte d’impertinence.

Hé quoi ! la France, puissance maritime de second ordre, avant la guerre [2], et à qui, en 1921, on ne pouvait même plus reconnaître ce rang, tant elle était démunie de matériel flottant, cette France, déjà trop forte sur terre, venait réclamer 350 000 tonnes de dreadnoughts, alors que le Japon, en possession de la troisième flotte du monde, admettait de réduire celle-ci à 300 000 tonnes !

En vain répondions-nous que nous ne prétendions aucunement — et pour cause ! — mettre en chantiers le tonnage que nous réclamions. Il ne s’agissait que d’un but idéal à atteindre en vingt ans, c’est-à-dire en 1941, soit dix ans après « les vacances navales » prévues en principe par la Conférence. Ces explications ne firent qu’aigrir les politiques du parti républicain. Qu’allait-on leur parler et parler au peuple des Etats-Unis d’une échéance si lointaine, alors qu’il s’agissait d’obtenir des résultats immédiats, résultats exactement opposés d’ail- leurs à ceux que la délégation française paraissait escompter. Nous n’étions décidément pas dans le ton. M. Briand, consulté, — d’un peu loin, il arrivait à Londres pour préparer la Conférence

  1. Il faut lire, à ce sujet, dans le Temps du 26 février, les renseignements très précis, — et attristants, — que nous fournit M. Nicholas Roosevelt, un sincère et fidèle ami de la France. L’aveuglement et l’ignorance de parti pris de nos experts navals, en ce qui touche la puissance de la presse aux Etats-Unis et son mode d’action sur l’opinion, y sont révélés sans réticences, sans que l’auteur se livre à la moindre attaque personnelle. M. N. Roosevelt, incidemment, nous dit quelle a été, à propos des « capital ships, » la fâcheuse attitude à notre endroit de la délégation italienne et surtout de la délégation britannique.
  2. Je me souviens, avec quelque amertume, j’en conviens, du dédain, — trop justifié, du reste, — que témoignaient, en 1910, les marins de la belle flotte des États-Unis (venue en Europe pour en visiter les ports principaux), à l’égard de nos pauvres cuirassés démodés de l’Escadre du Nord, où je commandais le Charles Martel. Les Américains, toutefois, parurent surpris de l’activité de nos bâtiments, de notre flottille et surtout de nos sous-marins.