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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/685

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conversation qui s’engagea (Unamuno parlait le français à nos académiciens, parfaitement, comme il sait le parler, et avec un accent qui, dit-il, fait partie de sa personnalité espagnole), me montra que, en effet, tout le temps que pouvait lui laisser son enseignement était pris par la polémique qui était sa guerre. Évidemment, à cette époque, sa réputation bien assise d’hétérodoxie tournait à une réputation d’anticléricalisme, mais cette réputation était injuste, et elle lui était faite par ceux dont il flétrissait quotidiennement avec raison l’ignorance et la mauvaise foi.

Certes, à cette époque, l’image du Christ était toujours en lui ; mais c’était le Christ de l’agonie, celui du Jardin des Oliviers et du Lamma sabachtani ; ce n’était pas le Christ tout blanc de Velazquez, témoin fidèle du Dieu vivant et qui a consommé avec son sacrifice le salut du monde.

La victoire pour laquelle Unamuno combattait (comme les meilleurs des catholiques, trop isolés, hélas ! alors qu’ils eussent dû avoir l’unanimité autour d’eux), la victoire qui s’annonçait chez nous, au temps de la mission de l’Institut de France, par les premiers exploits de Verdun, ne devait pas mettre fin à la tragédie intime de don Miguel. Je suivais cette tragédie par les lettres qui m’arrivaient au front et me faisaient deviner la fureur des vaincus de son pays, vaincus honteusement, par procuration, et qui se vengeaient en famille sur ceux qui leur avaient en vain désigné le côté du droit et de la victoire. L’époque de notre victoire fut ainsi singulièrement mêlée de joie et d’amertume pour Unamuno. Le triomphe des principes pour lesquels avaient combattu les Alliés rendait plus douloureux pour lui, qui vraiment avait été à la peine dans la grande alliance, le contact avec ceux qui, au cours de quatre années si longues et si chargées d’événements, n’avaient rien oublié, que les traditions chevaleresques de l’Espagne, ni rien appris, que l’art d’encenser les ennemis de leur patrie.


Je retrouvai don Miguel, quelques mois après l’armistice. Le printemps de 1919 commençait à resplendir sur Salamanque. Unamuno était déjà sous le coup des poursuites exercées à l’occasion de ses articles parus dans El Mercantil Valenciano. A peine osais-je m’enquérir de la grande œuvre conçue au