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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/784

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première note, — et c’est comme un coup de soleil soudain dans la pénombre de la salle à demi éclairée. Les panneaux mythologiques s’animent. Tout vibre et reluit : les cristaux des girandoles, les pendeloques du lustre de Murano. La voix est splendide. Elle chante le grand air du Barbier de Séville. Elle se grise de son chant, tout son corps en frémit de plaisir, elle y met une telle passion, une telle puissance d’entraînement que le public redemande le morceau, et après celui-là, un autre, puis encore un autre... Tout le répertoire de Rossini va y passer. Elle finit par la célèbre Romance du saule, triomphe de la Malibran... Et tandis qu’elle chante, de ce gosier enchanté et infatigable, elle se tient au bord de l’estrade, la tête inclinée, serrant ses seins entre ses bras nus, l’air pâmé et défaillant, — et, de sa bouche, de son corps tout entier, comme d’une fontaine, ruissellent des flots d’harmonie... La duchesse chante, pour ses amis, pour rien, pour le plaisir. Elle est heureuse éperdument...

Personne ne m’a fait mieux sentir, n’a mieux ressuscité pour moi l’Italie romantique qu’a aimée Stendhal. C’est la musique telle qu’il la comprenait, et qui est surtout une volupté, — une volupté savourée dans un décor comme celui que j’ai sous les yeux : un salon patricien de Naples ou de Florence, des peintures et des nudités mythologiques, des lustres brûlants de bougies, des sorbets, un air de fête et de mystère, de belles femmes passionnées, gisantes sur des sofas, qui se grisent de musique et de propos d’amour...



Syracuse, 9 avril.

Je suis bien obligé de l’avouer : les ruines antiques de Taormine et de Syracuse sont pour moi une déception. Je mets le cadre à part : il est tout à fait extraordinaire. Mais comment comparer le petit théâtre de Taormine à celui de Dougga, ou même le grand théâtre grec de Syracuse ? Ou encore l’amphi- théâtre romain de Syracuse à celui d’El-Djem ? Ou la citadelle de l’Euryélus à l’enceinte romaine, si bien conservée, de Tébessa, avec ses tours, ses portes monumentales, ses chemins de ronde ? Ceux qui ont vu nos ruines africaines, s’ils veulent s’épargner une déconvenue, feront bien de donner, ici, le meilleur de leur temps aux musées et aux paysages, lesquels sont, en vérité, incomparables.