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des pompes magnifiques, un ascendant prestigieux, une entière maîtrise des imaginations et des cœurs, sinon des intelligences et des âmes. Il y a quelques jours à peine, ces milliers de paysans, de soldats, d’ouvriers, que je vois défiler devant moi, ne pouvaient apercevoir la moindre icône dans la rue, sans s’arrêter, enlever leur casquette et se barrer la poitrine avec de larges signes de croix. Quel contraste aujourd’hui ! Mais faut-il s’en étonner ? Dans le jeu des idées, le Russe va toujours à l’extrême et à l’absolu.

Peu à peu, le Champ de Mars se vide. Le jour décline ; un brouillard fauve et glacé arrive de la Néwa. L’esplanade, redevenue déserte, prend un aspect sinistre. En retournant à l’ambassade par les allées solitaires du Jardin d’été, je me dis que je viens peut-être d’assister à l’un des faits les plus considérables de l’histoire moderne. Ce qu’on a enterré dans les cercueils rouges, c’est toute la tradition byzantine et moscovite du peuple russe, c’est tout le passé de la Sainte Russie orthodoxe...



Vendredi, 6 avril.

Tandis que les troupes du front se dissolvent chaque jour davantage par l’effet de la propagande socialiste, la petite armée, qui se bat aux confins du Kurdistan, sous les ordres du général Baratow, poursuit vaillamment sa rude tâche.

Après avoir occupé Kermanchah, puis Kizilraba, elle vient de pénétrer en Mésopotamie et d’effectuer sa liaison avec les Anglais au Nord-Est de Bagdad.

Dans le cadre de la guerre générale, cette opération brillante n’a évidemment qu’une importance épisodique ; mais c’est peut-être le dernier exploit que les historiens auront à inscrire dans les annales militaires de la Russie.



Samedi, 7 avril.

Hier, les États-Unis ont déclaré la guerre à l’Allemagne.

Nous nous félicitons, Milioukow et moi, de cet événement qui enlève aux Puissances germaniques leur dernière chance de salut. J’insiste auprès de lui pour que le Gouvernement provisoire fasse répandre à profusion dans tous les milieux russes le beau message que le Président Wilson vient d’adresser au Congrès et qui se termine ainsi :