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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/865

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vous soyez dans le cas d’avoir de l’excédent dons vos recettes… »

« Voilà une lettre. On est de retour à Patis[1]. »


Évidemment, l’humour de Chateaubriand a tourné : elle est presque au beau fixe. Il ne s’ennuie plus du tout à Berlin : c’est peut-être qu’il sent approcher l’instant d’en partir. Mais surtout sa vanité y trouve des hommages qu’il avait en vain guettés au début de son séjour. La vie mondaine s’est ranimée avec le carnaval ; il sort beaucoup, dans les plus nobles salons : « Il est impossible, écrit-il à Mme de Pisieux, le 10 mars, d’y être plus comblé de bontés que je ne le suis… » Il n’estime plus les Prussiens si froids… ni si laides les Prussiennes, qui ouvrent de grands yeux sur « l’auteur du Génie du Christianisme : » « Vous ai-je dit que les femmes sont charmantes ici ? Comment prendrez-vous cette nouvelle ? » Ainsi badine-t-il avec Mme de Duras. Et à elle, et à Mme Récamier il conte comment certain « prédicateur morave » a fait de lui, « en chaire, l’éloge le plus pompeux, » l’opposant à Voltaire… Les femmes, le roi, les princesses, et jusqu’aux prédicateurs ; bref, un de ces sourires inattendus et insistants de la gloire qui seuls, parfois, ont réussi à divertir René de son ennui. La conclusion, on la devine : « Encore une fois, écrit-il le 13 mars à Mme de Duras, — sans manquer d’ajouter : si vous étiez ici, — je ne demanderais qu’à passer ma vie à Berlin, tant je m’y trouve tranquille, et tant je suis reconnaissant des bontés qu’on a pour moi… »

Dix jours plus tard, cependant, il lance vers Paris sa demande de congé. C’est que le 23 mars il a appris la nouvelle du mouvement libéral éclaté en Piémont. Cette révolution va provoquer toute une activité diplomatique ; osera-t-on, pourra-t-on, cette fois, le laisser à l’écart des grandes choses ? Il bout d’impatience… Ambassadeur ? Le beau métier ! Chateaubriand l’a appris à fond en quelque huit jours : « … Je connais trente imbéciles qui seraient d’excellents ambassadeurs…[2] » Il suffit de jouer un peu la comédie : « Je vous assure que le métier peut être parfaitement fait par la première mâchoire de l’ancien régime. J’avais toujours soupçonné que les affaires dont on fait tant de bruit pouvaient être apprises par un sot, et maintenant, j’en ai la preuve… Je me suis rapetissé au point que je ferais

  1. Inédit.
  2. Corr. gén.. Il, p. 118.