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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/870

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Paris, 8 septembre 1821.

« Vous êtes trop bon, mon cher monsieur Le Moine. Ma femme n’est pas bien, mais pourtant elle va un peu mieux. Moi, je suis à moitié sourd, et encore pas assez pour tout ce que j’entends !... Nous avons grande envie de vous revoir ; vous nous manquez bien, et tous les soirs nous voyons venir votre heure sans vous voir paraître, ce qui nous fait grand chagrin.

« J’aurai, de compte fait, 12 ou 13 mille francs de reliquat ; mais on ne m’envoie point les ordonnances, et tout cela ne peut marcher que lorsque vous serez ici. Quant au ministère d’Etat, on a dit aussi qu’on s’exécuterait, mais, comme je ne veux rien demander, ils usent simplement de la bonne grâce qu’ils ont l’habitude de mettre en tout avec moi.

« Revenez donc, pour nous qui avons grande envie de vous voir ; mais pourtant, si la campagne vous fait du bien, restez-y pour votre santé qui vaut mieux que tout. Je vous embrasse tendrement, et ma femme vous dit mille choses [1]. »

En attendant les élections, et pour occuper son loisir, et pressé peut-être par la déesse de l’Abbaye-aux-Bois, à laquelle il fait à mesure l’hommage des feuillets remplis, Chateaubriand rédige ses Mémoires ; il les mènera, avant la fin de l’année, jusqu’au récit de son embarquement pour l’Amérique. « Rendu à mes loisirs, écrivons [2]. »

Les élections, cependant, confirment son attente. Il semble qu’elles doivent entraîner, avant l’ouverture de la session parlementaire, un remaniement ministériel assez important ; c’est l’intérêt du duc de Richelieu d’y procéder, s’il veut se maintenir à la présidence du Conseil ; par amour-propre blessé, sans doute, il s’obstine à le méconnaître. Sa sœur, Mme de Montcalm, s’en désole ; elle va trouver Chateaubriand ; ne peut-il prendre l’initiative d’une négociation entre le ministère et son parti ? Il ne perdrait point à jouer ce rôle d’arbitre... Chateaubriand hésite : il désirerait agréer au désir de sa noble amie ; mais, d’autre part, il a bien des préventions contre le duc de Richelieu ; il le sait mobile, fugace... Le 3 octobre, il écrit à la comtesse de Pisieux : « Le fait est qu’on parle d’arrangement, et qu’on n’en veut pas. La politique varie ici du matin au soir ; il

  1. Inédit.
  2. Mémoires d’Outre-Tombe, t. I, p. 216.