Évidemment, ce morceau de haut style était destiné, dans la pensée de son auteur, à passer sous les yeux du duc de Richelieu ; la politique aussi connaît le fugit ad salices… La lettre ne produisit point, en tout cas, d’effet immédiat ; c’est seulement le 15 décembre, après l’expérience de débats parlementaires assez pénibles, que Richelieu constitua un ministère centre-droit tout nouveau ; comme l’avait conseillé Chateaubriand, il y faisait rentrer « les deux magots, » l’un, Villèle, aux Finances, l’autre, Corbière, à l’Intérieur et il appelait aux Affaires étrangères, Mathieu de Montmorency, l’ami de Mme Récamier, l’acquéreur de la Vallée-aux-Loups. Quant à Chateaubriand, une ordonnance du 9 janvier 1822 le nommait ambassadeur de France à Londres ; car « Louis XVIII consentait toujours à l’éloigner... »
Ce n’était point une ambassade que Chateaubriand avait visée ; mais, en attendant la présidence du Conseil, c’était bel et bien le ministère des Affaires étrangères. Néanmoins, la perspective de partir pour Londres comme ambassadeur lui avait tout de suite agréé. Il explique fort bien pourquoi dans ses Mémoires : « ... Ma nomination réveilla mes souvenirs : Charlotte revint à ma pensée ; ma jeunesse, mon émigration m’apparurent avec leurs peines et leurs joies. La faiblesse humaine me faisait aussi un plaisir de reparaître connu et puissant là où j’avais été ignoré et faible... » Tellement cet homme, si avidement penché vers l’immédiat avenir, s’obstine à joindre le présent au passé : comme s’il pouvait, par un privilège nominatif, tromper le temps et sans cesse recommencer de vivre. Le plaisir de décrire les cruautés et les ivresses de son exil dans les lieux mêmes où il les avait éprouvées, ne pesa pas médiocrement sur son acceptation. A Londres, il écrivit de ses Mémoires la partie la plus longue qu’il eût encore rédigée d’une haleine, les livres VI, VII, VIII, IX, toute la matière d’un volume, qui, sur le récit de son débarquement en France en 1800, achèvent la première partie de son œuvre.