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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/882

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Italie, comme elle le fera trois ans plus tard ; mille potins vagues sont venus jusqu’à elle, et un racontar précis touchant sans doute Mme Lafond. Chateaubriand d’abord proteste, et joue l’ingénuité de l’innocence : à la belle recluse n’a-t-il pas donné toute sa vie, et, — symbole de ce don, — ne lui a-t-il pas laissé en parlant le précieux dépôt du manuscrit de ses Mémoires ! Il écrit avec une aimable candeur :

« ... Je ne songe qu’à arranger ma vie pour vous. Je me tue à chercher ce que vous pouvez avoir. Je m’examine et je ne trouve rien à me reprocher [1]. »

Mais devant une accusation enfin précisée, il est bien obligé d’envoyer un plaidoyer qui ressemble plutôt à un aveu enveloppé encore de quelques artifices :


12 juillet 1822.

« Allons ! j’aime mieux savoir votre folie que de lire des billets mystérieux et fâchés. Je devine ou je crois deviner maintenant. C’est apparemment cette femme dont l’amie de la reine de Suède vous avait parlé ? Mais, dites-moi, ai-je un moyen d’empêcher Vernet, Mlle Leverd qui m’écrit des déclarations, et trente artistes, femmes et hommes, de venir en Angleterre pour chercher à gagner de l’argent ? Et si j’avais été coupable, croyez-vous que de telles fantaisies vous fissent la moindre injure, et vous ôtassent rien de ce que je vous ai à jamais donné ? »

Il faut s’arrêter sur cette phrase, et rêver un instant à la superbe de ces deux imparfaits du subjonctif pour comprendre avec quelle égoïste tyrannie René dominait le cœur de la tendre femme...

« ... On vous a fait mille mensonges. Je reconnais là mes bons amis. Au reste, tranquillisez-vous : la Dame part et ne reviendra jamais en Angleterre, mais peut-être allez-vous vouloir que j’y reste à cause de cela ?.. »

A la jalousie de Mme Récamier s’ajoutait symétriquement celle de Mme de Duras, qui était jalouse... de Mme Récamier. Elle se croyait le droit d’être la seule Egérie ; or Chateaubriand écrivait trop souvent à l’Abbaye ; des amis communs aux deux femmes en faisaient mille ragots ; elle aussitôt d’envoyer à son

  1. Corr. gén., III, p. 93.