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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/931

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« peut-être, » parce que nous avons été obligés d’arracher nos pique-poults ; parce que les plants importés d’Amérique qui les remplacent, bien que croisés avec les nôtres, mais venus d’un autre monde, abreuvés d’une sève étrangère, risquent de ne point nous rendre un produit égal, d’une tenue et d’un arôme qui bravent le temps. Ils datent d’hier, ils n’ont pas assez vécu ; et, vivront-ils assez, eux qu’il faut reconstituer à intervalles relativement courts, et qui, ne plongeant point dans les couches profondes, paraissent incapables de tenir tête à de longues vicissitudes. D’aucuns prétendent que si. Le temps fera la preuve. Pour moi, épris des lentes transformations, je crains que cet arrière-goût de rancio, où il y avait comme un soupçon de caramel, bouquet distinctif de nos antiques eaux-de-vie, ne soit désormais perdu. Il imprégnait à jamais la bouteille poudreuse. Vous pouviez la vider, la rincer, il fleurait, il s’exhalait toujours comme une âme végétale. Vous la brisiez, les éclats conservaient l’odeur immortelle,


Et sa poussière heureuse en restait parfumée...


Nous avons arraché nos pique-poults parce qu’ils se défendaient mal contre les cryptogames, malgré les sels de cuivre, et qu’ils ne résistaient point au phylloxéra. Les plants américains, traités, ne se laissent point envahir par la pourriture que le mildiou et le blackrot engendrent, et nourris, soutenus, détruire par la bête. Ils y sont aidés par le poli et la densité de leur feuille et de leur grain où le champignon s’alimente difficilement, et par la richesse de leur chevelu qui assouvit l’insecte et charrie encore assez de sève pour sustenter le cep. Nous avons erré longtemps avant d’adapter les espèces à notre sol. La faculté d’absorption, l’aptitude pour ainsi dire à filtrer le suc d’un terroir, à l’assimiler, n’est point égale dans toutes les plantes. Là où celle-ci prospère, celle-là s’étiole. Jusque dans les profondeurs obscures de la terre, la loi de l’affinité règne en souveraine. J’ai connu un cep bourguignon, le pineau, au raisin noir exquisement parfumé, alambic vivant du vin illustre de cette côte appelée d’or, que mon père a vainement cherché à acclimater chez nous. Un signe révéla tout de suite l’échec prochain : ses fleurs ne sentaient point ou presque pas. Là-bas, elles répandent comme une vague impondérable d’odeur, un flot de cannelle et d’encens mêlés, qui embaume le pays... Nous