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L’hiver était revenu, rigoureux et plein de neige, avec un ciel de plomb qui me désespérait. Je souffrais d’un retour de rhumatismes et de malaria, et je me demandais avec terreur comment je ferais pour supporter un second hiver dans les conditions affreuses de cette vie de prison. Les nouvelles du « Front Blanc » devenaient de plus en plus mauvaises ; lorsque j’appris par les journaux que l’armée de Wrangel avait été été évacuée de la Crimée, j’éprouvai un serrement de cœur. Tant qu’il avait existé une force militaire russe qui luttait et faisait d’héroïques efforts pour vaincre la Peste rouge, j’avais conservé le vague espoir d’une heureuse issue pour nous. Après l’évacuation de la Crimée, cet espoir s’écroulait ; c’était l’effondrement de la Russie.

Le 25 octobre (7 novembre), la Russie célèbre l’anniversaire du coup d’Etat bolchéviste. Une large amnistie est conférée ce jour-là presque exclusivement au prolétariat ; on met en liberté les assassins, les bandits, les récidivistes, mais nous autres, « bourjouis » et « contre-révolutionnaires, » ne profitons que fort rarement de cette amnistie. Les « solennités d’octobre, » comme les bolchévistes nomment cet anniversaire de la honte et du déshonneur de la Russie, n’apportèrent aucun allègement à mon sort. Je fus appelée au guichet et on me lut un papier qui venait d’être reçu du Comité central exécutif panrusse, constatant que « l’amnistie avait été refusée à la prisonnière Kourakine. » Le papier était signé par Krylenko. Cette nouvelle ne fut pas pour moi une déception, car j’étais persuadée d’avance que l’amnistie me serait refusée. Je priai même le Directeur de dire à Krylenko que j’étais bien touchée de voir qu’il ne pouvait se passer de moi. Je retournai à la salle n° 4, et me remis à compter les jours et les mois qui me restaient jusqu’au terme de ma libération.


VIII. — MA MISE EN LIBERTÉ

Deux semaines s’étaient écoulées depuis que j’avais été informée du refus d’amnistie. Le 27 novembre (10 décembre), jour à jamais gravé dans ma mémoire, j’étais assise sur mon escabeau, en train de broder, lorsque la directrice, Mme S..., entra dans la salle n° 4 et s’assit auprès de moi.

— J’ai une bonne nouvelle pour vous, me dit-elle.