Aujourd’hui, à la fin de l’après-midi, nous entrons dans un paysage étroit qui semble se clore autour de nous. Une pagode est posée sur une pointe de terre, au bord de l’eau. Sur la rive droite, une petite ville s’allonge à mi-côte, assez élevée au-dessus du fleuve pour se préserver de ses crues, qui sont brusques et formidables. Quand nous arrivons, toute cette partie de la vallée a déjà été abandonnée par le soleil, qui est en train de retirer, comme les linges d’une lessive vermeille, les clartés qu’il avait tendues sur le sommet des montagnes. Cependant nous approchons du bord ; la voix chantante de l’homme qui sonde s’élève régulièrement ; nous allons mouiller, car il est impossible de naviguer la nuit dans cette partie du fleuve. L’opération même du mouillage est délicate. Il faut tenir compte des courants, des contre-courants, trouver un fond d’une bonne tenue.
Nous ne sommes pas encore à notre poste que, d’une embarcation, trois grandes barbes montent gaiement à l’assaut de la canonnière. Ce sont des Franciscains belges qui font une visite aux officiers. Après avoir causé avec nous, ils veulent me montrer leur mission. Nous descendons à terre, et par la pente limoneuse, nous gagnons un escalier par où nous montons jusqu’à la petite ville. Elle s’appelle Pa-tong. Une seule rue la parcourt dans sa longueur, rue étroite, déjà toute obscure sous les auvents des toits, enjambée de place en place par des arches qui rejoignent les maisons d’un côté à l’autre. Dans les boutiques, brillent quelques lumières timides. Notre passage, dès qu’il est aperçu, fait sensation. Des gens appellent furtivement leurs enfants : viens voir les diables ! et le marmot, blotti contre ses parents, nous regarde de ses yeux luisants, avec cette jouissance qu’ont les enfants de tous les pays, à se plonger dans une terreur dont ils savent qu’ils vont ressortir indemnes. En retrait, se dresse, au-dessus de la rue, une façade rose à trois baies, vieillotte, charmante, enfumée par l’ombre. Je monte les quelques degrés qui y conduisent. C’est le palais des examens littéraires, et je me souviens que le père Huc raconte qu’il y logea en passant, lors de son retour du Thibet. J’entre d’abord dans une cour exiguë, où l’eau d’un bassin demi-circulaire croupit sous des plantes : tout l’édifice est appliqué à la pente de la montagne. Je gravis d’autres escaliers et j’arrive à une dernière cour, que domine une salle délabrée, encore jolie, où brillent comme des épaves quelques hautains caractères d’or. A