Voici une œuvre de grande allure. Elle est, au lendemain de la guerre, d’un genre nouveau, du genre que nous attendions. Nous avons toujours pensé que de la Grande Guerre, — comme jadis des guerres de l’Empire, — naîtrait une littérature. Or, nous avons eu de beaux récits qui ont, à mesure, retracé les épisodes de la guerre, et en ont reflété l’émotion immédiate. Mais la littérature qui doit naître de la guerre est autre chose. Il lui faut le recul qui dégage les traits permanents, la lente élaboration qui transforme les faits en matière d’art. On admet qu’il n’y a de science que de ce qui est général : on pourrait en dire autant delà littérature. La guerre, dans ces œuvres suscitées par elle, ne sera plus envisagée pour elle-même : elle servira d’occasion et de moyen à l’écrivain jaloux de sonder notre cœur jusque dans ses plus secrètes profondeurs.
C’est un fait maintes fois observé qu’à la guerre, devant l’image partout présente de la mort, s’exalte l’instinct premier de notre nature, celui-là même par lequel la vie se propage. L’incertitude du lendemain rend l’homme avide du moment présent. Ce jeu du Désir et de la Mort, c’est le thème de Terre inhumaine. Tout ici évoque la violence de la guerre, et d’abord la rapidité du drame. Une ardeur de jouir, un mépris de la vie, et non pas seulement de celle des autres ; une atmosphère de fièvre, où les nerfs s’exaspèrent et les convoitises s’allument ; un ciel d’orage, où les figures se détachent en traits accusés, comme dans la fulguration de l’éclair. Chaque mot est chargé d’électricité et de sens. Un raccourci d’histoire, un précipité d’humanité. Ce qu’est l’Enlèvement de la redoute ou Matteo Falcone, dans l’ordre de la nouvelle, Terre inhumaine l’est au théâtre.