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Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 13.djvu/288

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fugitive de la princesse Youriewsky dans la cathédrale de la Forteresse fut l’un des plus vivaces.

Au cours des années qui suivirent, je l’aperçus quelquefois à Paris, où elle menait la vie banale d’une riche étrangère. On ne lui attribuait aucune aventure sentimentale. Les trois enfants, qu’elle avait eus d’Alexandre II, paraissaient absorber toute sa tendresse. Elle résidait beaucoup à Nice. Et c’est là qu’elle est morte, le 15 février 1922. Trois lignes dans quelques journaux composèrent toute son oraison funèbre.

Pourtant je savais que son roman d’amour avait impliqué un grand mystère politique. Mais les rares initiés gardaient jalousement leur secret ou l’avaient déjà emporté dans la tombe.

Les renseignements que j’ai glanés çà et là pendant ma mission à Pétrograd, quelques lettres qui sont venues depuis lors entre mes mains, enfin une confidence intime que j’ai reçue dernièrement et dont je sens tout le prix, me permettent de préciser aujourd’hui la place importante que la princesse Youriewsky mérite d’occuper dans l’histoire de la Russie.


I

Elle naquit à Moscou, le 14 novembre 1847, de Michel-Michaïlowitch prince Dolgorouky et de son épouse Véra-Gavrilowna, née Vichnévytsky.

Son père, qui avait hérité d’une fortune considérable, partageait sa vie de loisirs entre Saint-Pétersbourg, Moscou et le vaste domaine de Tiéplowka, aux environs de Poltawa. Il descendait authentiquement de Rourîk et de Saint-Wladimir, par Saint-Michel martyr, prince de Tchernygow au XIIIe siècle, et par Wladimir Dolgoroukow, dont la fille Marie épousa, en 1616, le tsar Michel-Féodorowitch Romanow, fondateur de la dynastie.

Or, au mois d’août 1857, l’empereur Alexandre II, allant présider les manœuvres de Volhynie, s’arrêta au château de Tiéplowka. Par discrétion, toute la famille s’était retirée dans une aile de la maison.

Un après-midi, comme le Tsar prenait le frais avec ses aides de camp sous la véranda, une fillette vint à passer devant lui, en courant. Il l’appela : « — Qui êtes-vous, ma petite fille ? Et que venez-vous faire ici ? »

Elle balbutia :