enlevée ; elle était partie pour Naples. Mais elle l’aimait toujours ; elle le lui écrivait quotidiennement. Donc, il avait le droit de la reprendre. Au besoin, il userait de contrainte. Les moyens ne lui manquaient pas ; l’omnipotence impériale n’était pas un vain mot. Le comte Schouvalow et ses policiers de la Troisième section avaient mené à bien des affaires plus difficiles, dont personne n’avait jamais rien su.
Cependant, hors de son Empire, des événements graves s’accomplissaient. L’Autriche était vaincue à Sadowa ; la Confédération germanique tombait sous la domination de la Prusse ; l’affaire du Luxembourg présageait un conflit prochain entre la France et l’Allemagne ; l’insurrection de la Crète menaçait de rouvrir la question d’Orient. Mais les souverains sont des hommes. De même qu’ils ne portent pas constamment leur couronne sur la tête, de même « la considération de leurs sujets et de leur propre gloire, » comme dit Bossuet, n’occupe pas toujours le premier plan de leur pensée.
Ainsi, malgré le grand bruit d’armes qui remplissait alors l’Europe, malgré tous les soucis du pouvoir suprême, les sentiments d’Alexandre-Nicolaïéwitch suivaient leur progression naturelle. Attisés par l’absence, magnifiés par le souvenir et le rêve, ils tournaient de plus en plus à la passion fiévreuse, exclusive, obsédante, à cette incurable maladie des sens et de lame, qui est parfois si terrible quand elle fond sur les hommes de son âge. Le maître de l’élégie latine, Properce, l’avait déjà observé, sous une forme pittoresque :
Sæpe venit magna fœnore tardus amor.
Désormais, cette passion ne le lâcherait plus ; elle deviendrait la grande affaire de sa vie ; elle primerait ses devoirs d’époux et de père ; elle s’introduirait dans les calculs les plus secrets de sa politique ; elle régirait toute sa conscience ; elle le dominerait jusqu’à la mort.
Au mois de juin 1867, sur la pressante invitation de Napoléon III, Alexandre II vint à Paris pour visiter l’Exposition universelle. Accompagné de ses fils, les grands-ducs Alexandre et Wladimir, il arriva le samedi, 1er juin, et descendit au palais de l’Élysée,